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L’identité lorraine en question

Blason et armes de Lorraine en la chapelle des Cordeliers à Nancy (Crédits photo : Thomas RIBOULET pour le Groupe BLE Lorraine)

Lorrain d’origine et historien de formation, Jean-François Thull est depuis 2013 Directeur de la Cité Royale de Loches, en Touraine, après avoir été pendant plusieurs années Directeur de la Maison Robert Schuman à Scy-Chazelles. Face à une société qui uniformise et qui déracine, celui qui a également rédigé une biographie inédite sur le Duc Charles IV de Lorraine nous rappelle que la défense des identités singulières est un combat qui n’a jamais été aussi actuel. Comme l’écrivait la philosophe Simone Weil, « l’enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine ».

BLE Lorraine : Qu’est-ce que cela signifie être Lorrain pour vous aujourd’hui ?

Jean-François THULL : « Cela signifie s’inscrire dans un paysage et des terroirs spécifiques, une histoire singulièrement dense ancrée dans une vocation européenne, une culture germano-latine, un riche patrimoine matériel et symbolique. Cela veut dire aussi que l’on peut être Lorrain par héritage et/ou par choix. C’est donc à la fois une affaire de naissance et de volonté. Les néo-Lorrains acculturés au cours de l’histoire, depuis le XVIIIème siècle jusqu’à l’époque contemporaine, en témoignent. D’autre part, la territorialité est un élément important de l’identité, mais pas exclusif ni impératif. Il existe aussi des Lorrains de l’exil, dont je fais d’ailleurs partie ! »

BLE Lorraine : En quoi l’identité lorraine est-elle complexe ?

JFT : « Toute identité est par définition diachronique et donc complexe. Une identité immuable relève de l’illusion. Un organisme vivant évolue sinon il se nécrose et finit par mourir. Il en est de même pour l’identité. La Lorraine charrie dans l’épaisseur de son corpus identitaire des apports multiples. Elle est le fruit d’un maillage territorial originel complexe, à savoir les Duchés de Lorraine et de Bar, les Trois-Evêchés, des enclaves territoriales autonomes, auxquels succèdent les départements lorrains à l’ère contemporaine, dont la fragmentation lui est consubstantielle.

Cela ne veut pas dire pour autant que la Lorraine n’a pas d’unité en soi, mais qu’elle n’est certainement pas uniforme, ce qui est tout à fait différent de la croyance des adorateurs de l’Etat unitaire jacobin qui cultivent une fiction mortifère, le mythe d’une uniformisation égalitaire parfaite, véritable cauchemar totalitaire heureusement voué à l’échec. »

BLE Lorraine : Les Lorrains souffrent-ils d’un complexe identitaire ?

JFT : « Très certainement d’un manque de fierté, laquelle n’est pas synonyme d’arrogance, d’un réel complexe d’infériorité et d’une difficulté à s’affranchir de représentations qui leur ont été imposées à l’époque contemporaine par les tenants du roman national français : une terre « patriotique [au sens tricolore du terme] et laborieuse » qui fait table rase de sept siècles d’histoire souveraine, cela au nom d’une « unité nationale » réputée supérieure et éternelle ! »

BLE Lorraine : Le Grand Est menace-t-il l’identité lorraine ?

JFT : « La pseudo-région « Grand Est », dont le rejet citoyen s’est traduit par un record absolu d’abstention (70 %) aux élections régionales de 2021, constitue assurément une grave menace existentielle pour la viabilité de l’être lorrain. Outre le fait qu’elle est un monstre technocratique budgétivore qui ne correspond à rien sur le plan de la géographique ou de l’histoire, les instances exécutives qui la soutiennent tendent à lui assurer une illusoire légitimité en inventant de toutes pièces un récit « grand estien » qui outrage les régions historiques constituant, malgré elles, cette entité ectoplasmique.

Le « Grand Est » ressemble en cela à la défunte URSS qui, sans y parvenir, a tenté de gommer les histoires singulières des pays qui étaient sous son joug, en faisant miroiter de meilleures conditions de vie à ses citoyens malgré eux, ce qui s’est avéré être un grossier mensonge. Il en est de même pour cette entité « grand estienne », excroissance cancéreuse qui altère l’identité des régions historiques (Champagne, Lorraine, Alsace) qu’elle englobe et hypothèque leur devenir. »

BLE Lorraine : En quoi les collectivités territoriales brouillent-elles l’identité lorraine ? Sont-elles responsables de sa remise en cause ? Que peut faire le politique pour promouvoir et défendre l’identité lorraine ?

JFT : « A mon sens les collectivités territoriales qui maillent le territoire lorrain ne portent pas la responsabilité de la perte d’identité de la Lorraine. Certaines d’entre elles contribuent même, consciemment ou pas, à lui assurer une place de choix. Par exemple, le Conseil départemental de Meurthe-et-Moselle assure, non sans mérites, l’entretien et la valorisation du château de Lunéville qui est un joyau du patrimoine historique lorrain, de même que la Colline de Sion-Vaudémont qui est un haut-lieu spirituel de la Lorraine.

Sur le strict plan de la conscience et de la participation civiques, il est dans l’intérêt des collectivités territoriales de faire vivre la singularité des territoires dans lesquels elles s’inscrivent sous peine d’être condamnées à évoluer dans des non-lieux peuplés par des « zombies post-identitaires » gagnés par l’hyper-individualisme et un consumérisme nomade qui empêchent de « faire société ».

J’ajoute enfin que dans le contexte d’un Etat hypercentralisateur qui maltraite les collectivités territoriales, les prive de toute autonomie financière et invente des périls imaginaires, à l’image du fantasme du « séparatisme régional » excipé par certains idéologues néo-jacobins qui réduisent à peau de chagrin les fragiles acquis d’une décentralisation inaboutie, il n’est hélas pas étonnant de voir que nous sommes arrivés aujourd’hui à un niveau inédit de défiance citoyenne sur fond de démocratie confisquée.

Pour que l’identité lorraine puisse s’épanouir, il importe donc qu’un nouveau cadre politique soit mis en place, qui restitue à la Lorraine son existence sur le plan institutionnel et lui accorde les libertés lui permettant de faire vivre et de faire fructifier ce précieux héritage. »

Rédigé par Rédaction BLE Lorraine

La Rédaction du Groupe BLE Lorraine, premier média et think tank indépendant de Lorraine.

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