Avec la moisson, la fenaison est la grande affaire de l’été. Les anciens, d’ailleurs, le savaient bien. N’avaient-ils pas coutume de personnifier le mois de juin en représentant, dans leurs livres d’heures et sur les portails de nos cathédrales, quelque faucheur affairé dans le foin ou en train d’aiguiser la lame de son outil ?
La fenaison, qui consiste à couper l’herbe des prés, à la faire sécher puis à l’engranger, afin de nourrir les animaux pendant la saison d’hiver est, aujourd’hui encore, une étape cruciale du calendrier agraire. Elle permet à l’éleveur de tenir toute une année. Surtout quand la saison permet de faucher le regain, c’est-à-dire l’herbe qui a repoussé dans le courant de l’été. Mais malheur aux fenaisons gâtées par la pluie ! Le foin est mauvais et peut venir à manquer. C’est alors que les vaches, à l’étable, apprennent à jeûner.
Les fenaisons d’autrefois avaient quelque chose de bucolique et de vaguement poétique. Les hommes, armés d’immenses faux, formaient une ligne compacte, qui avançait dans l’herbe drue avec un rythme de balancier. Le dos courbé et le front moite, ils coupaient sans relâche en laissant s’amasser, à même le sol, ces tiges odorantes qui parfument l’été. Par moments, quand la faux ne coupait plus très bien, on s’arrêtait et l’on allait battre, d’une main habile, la lame sur une toute petite enclume. D’autres préféraient passer un coup de ravisotte sur la lame. Ils gardaient, ceux-là, la précieuse pierre dans une corne, pendue à la ceinture.
Derrière les faucheurs se tenaient les femmes. A l’aide de grands râteaux de bois, elles étalaient les andains, ces sortes de bourrelets de foin qui dessinaient dans les prés une sorte de gros velours côtelé. Ces andains, il fallait les soumettre aux caprices du temps en les laissant sécher, pendant plusieurs jours, et en les retournant régulièrement. Quand le foin était sec et qu’il ne risquait plus de fermenter, on le chargeait sur une voiture à échelles. Le convoi, souvent, passait à peine sous la porte cochère. Mais une fois déchargé et accumulé dans la grange, quel soulagement ! Le paysan pouvait alors attendre l’hiver. Il avait de quoi tenir le siège.
Il y a un siècle, c’était encore ainsi que l’on faisait les foins. Après la Grande Guerre, on a vu apparaître les premières faneuses qui exécutaient en une heure ce que dix ouvriers fauchaient en une journée. Aujourd’hui, tracteurs et roundballeuses effectuent un travail remarquable. Les mécaniques s’agitent et vous emballent le foin dans du cellophane. Tout est prêt à l’emploi ! Progrès inévitable qui, on peut le regretter, a détruit l’ambiance unique des batailles de foins, des travaux de plein air et de quelques ébats. Combien de nos ancêtres, en effet, ont dû être conçus dans les foins, par une après-midi de juin ?
Dans son Dictionnaire des traditions populaires messines, Westpahlen nous rappelle que la fenaison était aussi l’occasion, pour les Lorrains de jadis, de festoyer grassement. La dernière charrette de foin, en effet, était traditionnellement coiffée d’un opulent bouquet de fleurs champêtres. Et une fois que la dernière brassée de foin avait été jetée sous l’immense toiture de la ferme, chacun se retrouvait et, au son du violon, dansait, chantait, mangeait et buvait. On fêtait alors le towechïn, c’est-à-dire, en patois, le tue-chien et l’on attendait évidemment de remettre cela en septembre, pour le regain.
C’était encore pratiqué il y a 70 ans … Après je m’interroge, j’avais quitté le village ……………..