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Spritz et autres Bredele de Lorraine

Différentes formes de Bredele de Lorraine (Crédits photo : RobertK)

Nul ne sait quand et comment les Spritz et autres Bredele sont entrés dans le bec sucré des Français. Durant des siècles, ces biscuits secs, dont les noms ont une consonance germanique, ne sont connus que des seuls Mosellans germanophones qui vivent sur un territoire correspondant à la moitié orientale du département de la Moselle.

Les Spritz

Je revois ma mère comme si c’était hier, dans notre maison ouvrière de la Cité Emile Huchet à Saint-Avold, en Moselle-Est, au cœur de la Lorraine germanophone. C’était il y a bien longtemps, dans les années cinquante. Mais les souvenirs de l’enfance sont ineffaçables.

Quelques semaines avant Noël, ma mère se conformait à la tradition qui voulait que les mamans fabriquent de petits gâteaux qui seraient dégustés durant les fêtes de fin d’année. Chez nous, ces douceurs portaient principalement un nom : les Spritz. Ma mère avait un petit carnet dans lequel la recette indiquait les ingrédients nécessaires et la marche à suivre. La pâte se faisait avec de la farine, du beurre, du sucre, des amandes moulues. Rien de bien compliqué. C’est la suite qui donnait tout son charme à la tradition car je pourrais en être un acteur.

Mon bonheur venait du hachoir à viande manuel, un instrument en fonte grise qui transformait la cuisine en atelier et la pâte en Spritz. Il s’agissait d’abord de bien fixer l’instrument au bord de la table. La base de l’outil ressemblait à un serre-joint et je disposais, avant de serrer la vis, de petits morceaux de bois de part et d’autre du dessus de la table, pour éviter d’abîmer la toile cirée. Une deuxième étape consistait à positionner la manivelle que je me réjouissais déjà de tourner. Restait à fixer la douille à l’avant, par laquelle la pâte allait spritzer, ce qui peut se traduire par « jaillir ». Ma mère versait la pâte dans le cylindre de fonte et la manivelle entrait en action. Ce qui se passait à l’intérieur du hachoir relevait de la magie pour l’enfant que j’étais. Les Spritz striés sortaient par la douille en un flux continu mais maîtrisé par la manivelle. Ils étaient coupés avec un couteau, à la taille voulue et disposés sur une plaque avant d’aller au four. Notre cuisinière à charbon ne se laissait pas régler comme un four électrique. La chaleur y était aléatoire et durant la cuisson qui n’excédait pas cinq à six minutes, il fallait espérer que les petits gâteaux ne soient pas trop cuits. Sortis du four, il m’était, certes, permis d’en goûter un, mais leur première destination était une boîte en fer blanc où ils attendraient jusqu’à Noël.

Aujourd’hui encore, les Spritz sont pour moi une « madeleine de Proust », un souvenir d’enfance chargé d’émotion. Je ne peux en manger sans penser à ma chère maman et aux heures bénies où je les fabriquais avec elle.

Autres Bredele

Les Spritz sont de la famille des Bredele (prononcez « brédeleu »), diminutif de Brot signifiant « pain » en allemand.

Le mot Bredele est rarement utilisé seul. Avec de l’anis, les petits biscuits prennent le nom de Anisbredele, avec des noix, ils deviennent Nussbredele, avec du miel, Honigbredele. Ma mère confectionnait aussi des petits gâteaux sablés que j’avais le plaisir de créer à l’emporte-pièce. Ils prenaient la forme d’une étoile, d’un croissant de lune, d’un sapin ou d’un cœur. Enfant, je n’en saisissais pas complètement la charge symbolique, en lien avec les notions de cosmos et d’immortalité : l’étoile du berger au-dessus de la crèche à Bethléem, le sapin symbole de vie, l’amour plus fort que la mort.

A ces Bredele s’ajoutaient les Speculatius ou Speculoos, fameux biscuits d’origine belge, connus depuis longtemps dans la région. Nous les achetions.

Sur son blog, Jean-Jacques Aillagon, ministre français de la Culture et de la Communication de Jacques Chirac (2002-2004), évoque avec nostalgie les soirs où, à Creutzwald, où il a passé sa jeunesse, « lorsque le ciel rougeoyait, on disait que le Petit Jésus faisait cuire les gâteaux de Noël à la cannelle ou à l’anis ».

Dans ma famille, on disait en Platt : de Heagott bakt Kuchen, le bon Dieu fabrique des gâteaux.

Peut-être fabriquait-il des Stollen, dont la forme et le sucre qui les recouvre fait allusion à l’enfant Jésus emmailloté dans la crèche. Joyeux Noël !

Rédigé par Albert WEYLAND

Ecrivain et conférencier, membre de Culture et Bilinguisme de Lorraine pour le Groupe BLE Lorraine.

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3 Commentaires

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  1. jusqu’à son décès ma maman ,tous les ans, en dernier avec mon aide, se lançait dans la bataille..en général avec au minimum 10kg de farine. et à partir de fin novembre..d’abord recette par recette dans des boites, puis avec toutes les boites, préparation de boites multirecettes pour offrir ou envoyer à ceux qui ne sont pas sur place…quand elle était petite elle les faisait avec son père..et moi depuis son départ je perpétue la tradition,mais « en moins bien »….

  2. oui moi aussi avec ma petite fille je fais les gâteaux de no¨el , et après viendra les beignets de carnaval ça c’est de très bons souvenirs d’enfance, quand on rentrait de l’école on passait sur le trottoir plein de glace car la pompe à eau avait gelé quelle belle déco tout le long de la boite qui l’a protégé les hivers étaient rigoureux en Lorraine ‘1948″

  3. Bonsoir
    Nous avons 80 ans et avons quitté notre Moselle-Est il y a plus de 50 ans mais tous les ans en décembre mon épouse fait des spritz comme ils sont décrits ci-dessus.
    Cordialement

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