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Tiens, il va pleuvoir, neum ?

Naguère, ma grand-mère, aussi ridée qu’une pomme-reinette, lunettes toutes rondes et chignon blanc, avait pour coutume de ponctuer toutes ses affirmations par un énigmatique : « Neum ? ».

Ce qui donnait à peu-près :

– Tiens, il va pleuvoir, neum? (Elle remonte ses lunettes)

– Tiens, il pleut, neum? (Elle remonte encore ses lunettes)

– Tiens, il a plu, neum? (Elle remonte toujours ses lunettes)

Ce terme, omniprésent dans la langue lorraine, et équivalent d’une ponctuation, avait pour fonction de prendre l’auditeur à témoin, soit par souci d’empathie, soit par timidité excessive, soit afin d’engager la conversation, pour qu’il apporte sa confirmation.

Certains linguistes tirent sa formation de la négation « ne … me » quand d’autres la font dériver de l’authentique adverbe latin « num », équivalent de « nunc », et qui signifiait « maintenant » ou « encore ».

Auquel cas ma bonne vieille grand-mère des années cinquante épluchant ses haricots verts dans son giron en laissant immanquablement tomber ses lunettes ne s’exprimait pas autrement, mais vingt siècles plus tard, que l’auguste Jules César franchissant sur son fier destrier le Rubicon.

A ma connaissance, le petit mot « neum » n’est plus guère usité. Pourtant, ses équivalents perdurent dans toutes les langues.

En français, nous avons le maniéré « N’est-ce pas ? » : « Tiens, il va pleuvoir, n’est-ce pas ? ». Ou encore le trivial « Hein ? » : « Tiens, il a plu, hein ? ». Et enfin le modeste « non ? » : « Tiens il pleut, non ? ». Les Belges, lesquels sont plus attachés que nous à notre langue commune, emploient à tout bout de champ « nenni », de l’ancien français « nen il » signifiant « non il », c’est-à-dire « lui, non ». Les Anglo-Saxons disposent de « Is it not ? », raccourci en « Isn’t ? » que ce pachyderme d’Obélix traduit par « N’est-il pas ? ». Les quelques rares Allemands pratiquant encore le « Urdeutsch » terminent toutes leurs phrases par « oder ? » (« ou », « ou bien »), notamment dans « Es regnet oder ? » (« Il pleut ou bien ? »), alors que leur langue populaire préfère « Guel ? » (« Sehr schönes Wetter für die Schnecken, guel ? »).

Alors, plutôt que de recourir à ce « N’est-ce pas ? » de marquise levant le petit doigt tout en dégustant son chocolat à la crème ou à ce « Hein ? » fort en gueule et un poil viril empestant son soudard de la Guerre de Trente ans ravageant sans scrupule la Lorraine, pourquoi ne pas en revenir au bon vieux « Neum ? » de ma grand-mère qui laissait immanquablement tomber ses lunettes lorsqu’elle épluchait ses haricots verts sur le pas de sa porte, NEUM ???

Rédigé par Jean-Paul BOSMAHER

Professeur de lettres à la retraite et écrivain pour le Groupe BLE Lorraine.

M. BOSMAHER est l’auteur de plusieurs ouvrages de références sur la Lorraine, dont notamment le « Parler Lorrain » paru en 2014 aux Editions du Quotidien.

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4 Commentaires

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  1. Une chaouée désigne une averse, une pluie soudaine et assez forte. La chaouée en Lorraine peut aussi bien désigner la giboulée de printemps que la pluie d’orage, voire l’averse d’automne. Elle est parfois redoutée, parfois appréciée, notamment pour mettre fin à une canicule insupportable. Avez-vous déjà senti le parfum qui monte de la terre chauffée à blanc, après une bonne chaouée ? C’est un parfum unique, indescriptible. Un de ces parfums qui ne font frissonner vos narines que deux ou trois fois dans l’année.

  2. En fait, il y avait deux formes, une pour le tutoiement : name, nème, neume, nume et une pour le vouvoiement : nemi, nemé ou encore meu, mé (mé = abréviation de numé). Mais ces formes peuvent se confondre. Ainsi à Cumières : Veus vinrez, ‘mé ? = Vous viendrez, n’est-ce pas ? te n’vouroys-m’ fâre ç’la, n’mi ? = tu ne voudrais pas faire cela, n’est-ce pas ? Veus vinrez, nume ? = vous viendrez, n’est-ce pas ?

  3. Oh que non, personne n’a dit le contraire 😉

    Par contre, c’est très bien si de telles expressions perdurent dans nos villes et villages 🙂

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