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Du peintre messin Roland Andrès

Dans cette création récente, Roland Andrès s'inspire de Pablo Picasso (Crédits photo : Christian SCHMITT pour le Groupe BLE Lorraine)

Intitulé Roland Andrès, le peintre et sa difficulté d’être, mon dernier ouvrage s’intéresse à cet artiste peintre messin qui est une figure emblématique de la Rue des Jardins.

Bien qu’il ne soit pas mécontent que l’on parle de lui et de son œuvre, Roland Andrès ressent néanmoins une certaine gêne à être au centre de tant d’attention. Aujourd’hui âgé de 82 ans, il a en effet toujours préféré l’ombre à la lumière, habitué qu’il est à travailler en solitaire dans son atelier du sous-sol, loin des éclats de la ville et des projecteurs de la notoriété. Cette propension à mener une vie solitaire, en marge du monde, découle en réalité de son passé.

Roland Andrès a dû en effet affronter les défis d’une existence difficile dès son plus jeune âge. Il est devenu très tôt orphelin de père. Pratiquement abandonné par sa mère, il en a toujours gardé un douloureux souvenir. Pendant toute sa jeune existence, il a été constamment ballotté d’institution en institution tout en supportant par ailleurs les moqueries de ses camarades en raison de sa candeur d’âme et de sa timidité naturelle. C’est pourquoi, il a pu faire sienne cette célèbre citation de Cézanne « C’est effrayant la vie ! ».

Roland Andrès
Roland Andrès (Crédits photo : Christian SCHMITT pour le Groupe BLE Lorraine)

Sa passion pour le dessin et la révélation de Picasso

C’est vers l’âge de dix ans qu’une aspiration pour le dessin avait germé en lui. Cette passion s’était réellement épanouie grâce notamment à la lecture des Reader’s Digest, un magazine mensuel qui proposait une rubrique intitulée « L’école ABC pour apprendre le dessin ». C’est également au cours de la même période qu’il découvrit Picasso grâce à la bibliothèque de l’établissement des Pupilles de la Nation dans le Jura. La figuration brisée de cet artiste se présenta à lui comme une véritable révélation en résonance avec sa propre enfance, elle aussi fracturée.

Subréaliste ou sousréaliste ?

Andrès, lorsqu’il développa à l’âge adulte son propre art, revendiquera avec fierté son identité en tant qu’artiste subréaliste ou sousréaliste. Derrière ces néologismes, transparaît une volonté farouche du peintre de se soustraire à toute forme d’emprise, que ce soit d’une école ou d’un artiste en particulier. Ces nouveaux termes expriment véritablement son vœu le plus cher : jouir d’une liberté totale, même au prix d’une certaine anarchie. Les préfixes « sub » et « sous » attachés à « réaliste » expriment parfaitement ce décalage, ce degré moindre par rapport à la réalité. Si de manière inconsciente, son inspiration sera toujours liée au grand peintre Picasso, en revanche celui-ci n’est pour lui qu’un catalyseur, impulsant simplement l’élan nécessaire.

Un peintre allusif malgré lui ?

Avant d’aborder réellement la voie de l’abstraction, qu’il considère comme la voie royale, Andrès va explorer un monde alternatif, peuplé notamment de figures énigmatiques. Ses débuts l’ont amené à faire des compromis. Ainsi, lorsqu’il pensait avoir raté l’un de ses premiers tableaux abstraits, il se contentera alors de le retravailler pour qu’il devienne finalement un tableau allusif, suggérant des formes et qui sera en fait proche d’une œuvre figurative.

Un monde avec des êtres étranges

Ainsi, parmi les traits singuliers de son travail, les personnages qui peuplent ses différents tableaux semblent singulièrement étranges. Ils se présentent souvent avec des têtes allongées, rappelant les créatures de Modigliani, lui-même inspiré par les Arts premiers d’Afrique ou du Cambodge. Mais ce sont plutôt des êtres sans visages que nous montre Andrès. Ils n’ont que l’apparence de personnes humaines. Cela renvoie bien évidemment à l’histoire personnelle d’Andrès et à sa difficulté d’exister et à être au contact des autres. D’où son besoin de se cacher, en ne dévoilant pas le visage de ses personnages, en les affublant de masques, comme cet étrange joueur de flûte à la tête biface.

Vers une nature transformée

Lorsqu’il aborde le monde naturel, celui-ci subit également une transformation substantielle de la part du peintre messin. Dans le bouquet de fleurs ci-dessous, on est effectivement à rebours du réalisme et de la représentation traditionnelle. L’artiste a tout réduit à un jeu de lignes et de bandes colorées zébrant sa nouvelle composition. Le chemin vers l’abstraction est déjà bien entamé. Certes on peut toujours reconnaître par les formes qu’il s’agit d’un bouquet de fleurs avec un vase, mais en fait tout a été modifié au profit de la réalité imaginaire du peintre.

bouquet de fleurs Roland Andrès
Bouquet de fleurs avec des stries, 58 x 48 cm, 2007 (Crédits photo : Christian SCHMITT pour le Groupe BLE Lorraine)

Cette réalisation fait aussi penser à certaines pratiques artistiques des années 1960 aux Etats-Unis avec le minimalisme ou l’op art. Sol Le Witt, artiste minimaliste, utilisait beaucoup les bandes de couleurs rayonnantes rappelant la géométrie mystique des premiers modernistes et les pyramides aztèques. De même, le travail du bouquet de fleurs d’Andrès rappelle également les réalisations propres de l’op art qui exploitaient la faillibilité de l’œil à travers des illusions ou des jeux d’optique. L’artiste Bleckner utilisait notamment les motifs répétés des rubans pour concrétiser ces jeux d’optique.

Ses abstraits

our Andrès, l’abstraction représente la quintessence de la liberté artistique, symbolisée parfois de manière anecdotique par la possibilité d’accrocher un tableau dans tous les sens. Peindre demeure donc une source de plaisir inépuisable pour lui. Incapable, comme il le dit lui-même, d’exprimer ses pensées par l’écriture, il voit dans la peinture une autre voie pour révéler son être le plus profond.

Une harmonie parallèle à la nature

Parmi ses œuvres abstraites, ce tableau de 1995, qui résulte d’un système de touches colorées, reflète bien le style adopté par l’artiste pour échapper à la réalité empirique.

Sur bois
Sur bois, 73 x 93 cm, 1995 (Crédits photo : Christian SCHMITT pour le Groupe BLE Lorraine)

Mais abstrait ne peut signifier pour Andrès se déconnecter totalement du monde environnant. C’est pourquoi l’artiste semble puiser son inspiration dans une harmonie parallèle à la nature. Cette œuvre peut évoquer, en effet, des mondes telluriques, illustrant des paysages avec une sédimentation de couches géologiques. La difficulté d’être de cet artiste l’amène à trouver refuge dans cette nature primitive, à la fois primaire et hostile, un monde en formation sans formes définies. Les fondations géologiques de ce paysage austère, minéral, découpé par des tranches de lumière d’un ocre intense nous invitent à explorer ses profondeurs. Comme la découpe horizontale d’une falaise révélant ses entrailles géologiques, dévoilant un monde au début de sa formation dans un chaos apparent. La beauté qui en résulte se situe alors aux origines, dans une géographie virginale où le bleu apaise et stabilise, et le marron évoque la terre, couleur naturelle par excellence. Cette matière rocheuse devient alors presque vivante par ses épaisseurs et ses veinages. Eclairée sous une lumière rasante, la texture de la composition se révèle, avec la rugosité de la matière picturale qui rappelle les couches géologiques sédimentaires.

Ses créations récentes

Avec le temps, Andrès a l’impression de retrouver l’esprit de Picasso dans ses œuvres les plus récentes. L’influence de Picasso semble indéniable, bien qu’elle ne soit pas toujours prédominante.

création récente Roland Andrès
Dans cette création récente, Roland Andrès s’inspire de Pablo Picasso (Crédits photo : Christian SCHMITT pour le Groupe BLE Lorraine)

Ainsi, Andrès semble avoir repris quelques éléments principaux du décor de la dernière toile de Picasso dénommée « Femme nue couchée et tête » de 1973, 130 x 195 cm. On retrouve, effectivement chez Andrès quelques éléments emblématiques du dernier tableau de Picasso : un dessin très cubiste au centre, avec un être humain dessiné très schématiquement avec ses deux yeux, ainsi que d’autres formes dessinées dans le bas de l’œuvre. Ensuite pour le reste, il s’agit davantage d’éléments apportés par Andrès. Ainsi, à gauche une femme, selon l’interprétation du peintre lui-même, qui tient un petit tableau « Le petit picador » dans sa main et à droite, c’est son miroir qui renvoie sa propre image. Plus haut, on voit apparaître des morceaux sous forme de débris qui se détachent, comme ceux tirés de la mort selon Andrès, comme le résultat d’une sorte de décomposition. Andrès commente lui-même cette œuvre en ces termes :

« Picasso ne s’est jamais détaché réellement de la figuration et il a toujours eu besoin de raconter une histoire. Pour moi, le vrai sens de la création c’est l’abstraction qui conduit à l’infini. C’est pourquoi, en partant de la dernière œuvre de Picasso, j’ai voulu réunir le figuratif et l’abstrait. Une façon aussi pour moi de continuer l’œuvre du grand maître en réconciliant la figuration avec l’abstraction. Ainsi dans ce travail le plus récent, j’ai bouclé la boucle avec celui qui m’a fait découvrir la peinture. »

Toujours faisant écho à la dernière œuvre de Picasso, Andrès a réalisé une toile de facture encore beaucoup plus abstraite comme un nouveau coup de chapeau à son maître de prédilection.

formes figuratives
Formes figuratives, 110 cm x 176 cm (Crédits photo : Christian SCHMITT pour le Groupe BLE Lorraine)

Andrès construit une structure abstraite constituée de cinq formes allongées blanchâtres grossièrement dessinées et réparties individuellement tout le long du tableau, auxquelles il rajoute en surimpression les formes figuratives du tableau de Picasso. Ces dernières, extraites également du dernier tableau du maître espagnol, se traduisent sous la forme de traits verts. Selon Roland Andrès, « le vrai sens de l’art c’est la création sans limites et le figuratif, selon [lui], ne sera jamais en ce sens créatif à 100 % ! C’est pourquoi la vraie création c’est l’abstraction qui conduit à l’infini. »

Aussi pour Andrès, la figuration, même poussée à son paroxysme dans le réalisme sera toujours réduite dans les limites de la représentation humaine. Ce peintre qui travaille secrètement dans le sous-sol de la Rue des Jardins semble avoir trouvé le moyen d’ouvrir les portes de l’infini.

Rédigé par Christian SCHMITT

Critique d’art, auteur d’ouvrages et correspondant culturel local à Metz et en Pays Messin pour le Groupe BLE Lorraine

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