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De la capitale mondiale de la géographie et marraine de l’Amérique

La Lorraine a l’immense privilège de compter deux capitales mondiales. Celle de la paix d’une part, avec Verdun. Et celle de la géographie, d’autre part, avec Saint-Dié. Saint-Dié-des-Vosges, oui, cette petite ville perdue au milieu de montagnes recouvertes de hauts sapins, Saint-Dié, capitale mondiale de la géographie !

Peut-être que la ville a su briguer ce titre grâce au FIG, le fameux Festival International de Géographie, qui s’y tient chaque premier week-end d’octobre depuis 1990 ? Manifestation culturelle de premier ordre et qui attire, à l’occasion de conférences, de rencontres-débats et d’un salon du livre de qualité un nombre important de cartographes passionnés, de climatologues ayant la tête dans les nuages, de géopoliticiens qui imaginent les guerres de demain, de géologues qui vous parlent de feldspaths et de roches métamorphiques et, de manière plus globale, de simples amateurs de géographie.

Si le FIG a son importance à Saint-Dié-des-Vosges, ce n’est pourtant pas lui qui explique que la ville soit devenue la capitale mondiale de la géographie. Ou du moins, pas seulement … Pour comprendre comment Saint-Dié, par ailleurs patrie du célèbre Jules Ferry, a bien pu hériter de ce titre, il faut faire un bond dans l’histoire et revenir au tout début du XVIème siècle. Ou, si l’on préfère, à la toute fin du règne de René II, celui-là même qui avait réussi à vaincre, en 1477 et contre toute attente, le très puissant Duc de Bourgogne Charles le Téméraire. Nous sommes en 1507. Depuis une quinzaine d’années, la petite ville de Saint-Dié-des-Vosges accueille ce qu’on appelle le « Gymnase vosgien », une association de savants, d’imprimeurs et de traducteurs fondée par le chanoine Vautrin Lud, qui n’est autre que l’oncle de Nicolas Lud, un des secrétaires du Duc René. Les érudits, au premier rang desquels on se doit de citer le cartographe allemand Martin Walseemüller, l’helléniste Mathias Ringmann ou encore le latiniste Jean Basin, se font alors transmettre, par le duc en personne, le récit des expéditions que le navigateur florentin Amerigo Vespucci a mené par-delà la terrible mer océane.

America
Détail du planisphère de Waldseemüller avec la mention « AMERICA » désignant la partie Sud du continent américain

Le texte, publié sous le titre Lettera di Amerigo Vespucci delle isole nuovamente trovate in quattro suoi viaggi (Lettres d’Amerigo Vespucci sur les îles nouvellement découvertes durant ses quatre voyages) enthousiasme littéralement les savants déodatiens. Ils cherchent alors à dresser une carte dans laquelle seraient mis à jour les travaux du scientifique grec Claude Ptolémée. Le Mundus Novus ou Nouveau Monde que décrit Vespucci apparaît bien comme un continent à part entière. Ce n’est donc pas, comme le croyait Christophe Colomb, un morceau d’Asie situé au large du Cipangu ou des mystérieux royaumes de Gog et de Magog. La carte voit peu à peu le jour. Le Gymnase vosgien décide de l’accompagner d’une réédition de l’ouvrage de Ptolémée, la Cosmographiæ Introductio, dans lequel, pour la première fois, ces terres nouvelles sont désignées sous le nom d’America. Le nom est une féminisation du prénom d’Amerigo Vespucci. Féminisation jugée nécessaire par les savants vosgiens afin d’accorder cette quatrième partie du monde avec les trois autres continents, Asia, Africa et Europa, tous trois baptisés de noms de divinités mythologiques féminines.

Sortie des presses le 25 avril 1507, cette première édition de la Comosgraphiæ Introductio compte 104 pages. Elle était accompagnée par une planche de douze fuseaux, destinée à être découpée et assemblée sur un globe terrestre. Cette planche, la première à mentionner le nom de l’Amérique, est hélas, encore largement ignorée du grand public. Il faut dire que seuls cinq exemplaires semblent avoir été conservés. Deux en Allemagne, deux aux Etats-Unis et le dernier dans une collection privée, en Angleterre.

Bien qu’ils éludent totalement le nom du véritable découvreur du Nouveau Monde, les travaux du Gymnase vosgien vont rapidement faire autorité. Maigre consolation pour lui, Christophe Colomb finira par laisser son nom à un pays d’Amérique du sud : la Colombie. Mais le nom de l’Amérique, né à Saint-Dié-des-Vosges au tout début du XVIème siècle finira par s’imposer sur l’ensemble des cartes et des atlas. Il finira par être synonyme d’un rêve qui attirera, tout au long de l’époque moderne, des colons en mal de richesse et d’aventures. Et par valoir, à la charmante sous-préfecture vosgienne, le titre, très honorable, de « marraine de l’Amérique ».

Rédigé par Kévin GOEURIOT

Historien de la Lorraine, écrivain et professeur d’histoire-géographie pour le Groupe BLE Lorraine.

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Un Commentaire

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  1. Dans son ouvrage intitulé L’Image du Monde publié en 1246, le poète et ecclésiastique messin Gossuin, ou Gauthier selon certaines mentions, décrit déjà une Terre ronde plutôt que plate. Contrairement à certaines idées répandues, la Terre n’était pas toujours considérée comme un disque flottant sur les eaux au cours du Moyen-âge. Lorsque sont apparues les premières mappemondes au VIIème siècle, la Terre était en effet déjà désignée par les termes globus (globe) et spera (sphère). De son côté, L’Image du Monde, que l’on peut assimiler à un poème scientifique, est considérée comme la première œuvre de vulgarisation scientifique en langue vernaculaire qui s’adresse aux laïcs de la haute société seigneuriale et bourgeoise. Plus de cent manuscrits de cet ouvrage sont encore conservés de nos jours, ce qui témoigne de son succès à l’époque. A tel point qu’il fut même traduit en anglais, en allemand et en hébreu.

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