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Les secrets des deux poissons lorrains de la collégiale de Thann en Alsace

Les deux poissons en haut du pilastre Sud-Ouest de la collégiale de Thann (Crédits photo : André WALGENWITZ pour le Groupe BLE Lorraine)

Lorsque l’on visite la collégiale de Thann, en Alsace, on ne peut que s’interroger sur la présence de trois blasons représentant deux poissons également visibles en Lorraine, notamment à Nancy au Palais des Ducs de Lorraine. Voici l’étonnante destinée de cet emblème lorrain que l’on retrouve en Alsace mais également à Vienne, en Autriche, ou encore au monastère royal de Brou près de Bourg-en-Bresse.

Lorsque Sophie de Bar (1018-1093) épousa Louis de Scarpone, seigneur de Mousson, elle apporta dans sa dot la bannière du Comté de Bar représentant deux poissons dorés, des bars ou barbeaux, sur fond bleu. Sophie était la fille aînée du Comte de Bar également Duc de Lotharingie qui décéda lorsque Sophie était âgée de huit ans. Orpheline, elle fut élevée par sa tante Gisèle de Souabe, l’épouse de l’Empereur Conrad II. En ce début de XIème siècle, Sophie fut instruite selon les principes éducatifs d’une princesse de haut rang. En 1038, à l’âge de vingt ans, elle épouse donc Louis de Scarpone (1013-1073), jeune prince lui-même issu d’une lignée prestigieuse, celle des Eguisheim-Vaudémont, famille du Pape Léon IX (1002-1053).

Peu après ce mariage, le jeune prince Louis fut doté en 1042, par l’Empereur Henri III, d’un important territoire qui se trouvait au Nord du Comté de Bourgogne (Franche-Comté). Il s’agissait d’un vaste ensemble de seigneuries qui se situaient sur le point de rencontre entre les mondes germanique et latin. Ce territoire correspond aujourd’hui au Pays de Montbéliard, au Territoire de Belfort, à l’Ajoie en Suisse et au Sundgau en Alsace.

Louis de Scarpone garda le thème des deux poissons dorés pour représenter l’identité de son nouveau domaine, mais il remplaça la couleur bleue par la couleur rouge. C’est ainsi qu’il fit installer sur le château de Montbéliard le blason représentant deux poissons dorés sur fond rouge, tel qu’il est toujours visible de nos jours.

blason Comtes Ferrette Thann
Le blason des Comtes de Ferrette à l’entrée du chœur de la collégiale de Thann (Crédits photo : André WALGENWITZ)

Sophie de Bar et Louis de Scarpone eurent un fils, Thierry Ier de Montbéliard, qui décéda en 1103. Ses quatre fils se répartirent ses vastes territoires. Thierry II et Frédéric eurent la charge des territoires situés à l’Est (Montbéliard, Ajoie, Sundgau). Etienne devint évêque de Metz et Renaud devint le titulaire du Comté de Bar, de Mousson et de Verdun. C’est ainsi que de nos jours, on retrouve encore les deux poissons dorés sur fond bleu sur les armoiries de la Ville de Longwy, ainsi qu’au Palais des Ducs de Lorraine à Nancy.

En 1125, après 22 années de gestion commune, les deux frères aînés, Thierry II et Frédéric scindèrent leurs terres. Thierry eut en charge la partie Sud et Frédéric la partie Nord en s’établissant dans son château de Ferrette qu’il avait entrepris de construire dès 1105, la même année où il avait fait venir Saint Morand à Altkirch.

Frédéric Ier Comte de Ferrette (1085-1160) résidait volontiers au couvent de l’Oelenberg près de Reiningue, entre Thann et Mulhouse. Il y fut d’ailleurs inhumé avec sa deuxième épouse, Stéphanie Eguisheim-Vaudémont (1105-1188), nièce du Pape Léon IX, dont les parents furent les fondateurs du couvent en 1046. Stéphanie était la mère du Comte Louis Ier de Ferrette (vers 1140-1191), celui-là même qui avait accueilli en 1161 le porteur de la relique d’Ubaldo Baldassini de Gubbio (1085-1160).

C’est ainsi, qu’après avoir investi les tours du château de Ferrette, les deux poissons dorés sur fond rouge se sont installés non loin des berges de la Thur, notamment à Cernay dès 1268, à Thann ainsi qu’à Vieux-Thann, où ils apparaissent dans le vitrail central du chœur de l’église Saint-Dominique. Lors de la construction de la collégiale, haut-lieu des Habsbourg-Ferrette, les deux poissons y furent représentés à trois reprises en l’honneur de Jeanne de Ferrette qui fut avec sa sœur Ursule la dernière Comtesse de Ferrette en titre.

Des berges de la Thur à celles du Danube

Vers 1360, les deux poissons émigrèrent non loin des berges du Danube pour se retrouver en très bonne place parmi les statues de la future cathédrale Saint-Etienne que Rodolphe IV, fils de Jeanne de Ferrette, fit construire à Vienne. Rodolphe, très attaché à montrer ses origines sundgauviennes aimait particulièrement se présenter aux côtés de son « Wappenträger » (porteur de blason) arborant fièrement les deux poissons tels qu’on peut les voir à trois reprises à Vienne.

On retrouve également les deux poissons sur les monuments funéraires de Rodolphe IV et de l’Empereur Frédéric III dans le chœur de la cathédrale viennoise, ainsi que sur plusieurs tombes de la crypte des capucins.

poissons lorrains Thann
Les deux poissons sur le portail Ouest de la collégiale de Thann (Crédits photo : André WALGENWITZ pour le Groupe BLE Lorraine)

Maximilien Ier, l’empereur féru de généalogie

En la collégiale de Thann, Maximilien Ier (1459-1519) fit installer les nombreux blasons qui représentent la dynastie que l’on peut légitimement dénommer Habsbourg-Ferrette. La meilleure place étant attribuée aux deux poissons des Ferrette à l’entrée du chœur de la collégiale. Marguerite d’Autriche (1480-1538), fille de Maximilien et de Marie de Bourgogne, également férue de généalogie, fit représenter le blason de son aïeule Jeanne de Ferrette à Malines (Belgique), où elle résidait, ainsi qu’au monastère royal de Brou qu’elle fit construire à partir de 1506 à côté de Bourg-en-Bresse.

Le retour à Vienne des deux poissons

En 1737, lorsque Marie-Thérèse d’Autriche épousa François-Etienne, Duc de Lorraine et de Bar, les deux poissons dorés, sur fond bleu, à l’origine de toute cette histoire reprirent leur place sur l’armorial autrichien. Ces poissons d’origine lorraine figurent toujours, de nos jours, sur l’armorial de la famille Habsbourg-Lorraine. Est-ce pour cette raison, que le dernier Empereur d’Autriche-Hongrie, Charles Ier de Habsbourg (1887-1922), époux de l’Impératrice Zita (1892-1989) déclara sur son lit de mort : « Vous pouvez renoncer à tout, mais ne renoncez jamais à la Lorraine » ?

Voici la singulière histoire de ces deux poissons qui figurent en bonne place en Lorraine, à Montbéliard, à Thann, à Vienne, etc. Magnifiquement présents à Thann, ils sont les représentants d’une étonnante page de l’histoire européenne qui court depuis Sophie de Bar jusqu’à l’Impératrice Zita en passant par Jeanne de Ferrette et l’Impératrice Marie-Thérèse.

Rédigé par André WALGENWITZ

Historien et conférencier pour le Groupe BLE Lorraine.

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Un Commentaire

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  1. Bonjour, merci pour l’article ! Pour préciser un point, Marguerite d’Autriche est décédée en 1530, soit 2 ans avant la finalisation du superbe monastère royal de Brou, à Bourg-en-Bresse, qu’elle avait fait édifier.

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