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Fiauve de la barbe du Warmouhhé des Vosges

Le Warmouhhé avait une barbe aussi fournie et aussi mal peignée qu’une touffe d’étoupes. Aussi rouge et rousse que s’il avait passé la tête sous le chapeau d’une cheminée, on aurait crié au feu. Comme en même temps, elle était plus rude qu’une brosse de racine, sa femme n’osait s’y frotter le museau et n’arrêtait pas de l’agacer pour qu’il la fasse tondre.

– « Cochon ! », disait-elle, « tu n’es pas honteux de te montrer en haut avec pareille cépée sous le menton ? Si tu tardes encore un peu, il faudra un fossoir pour l’enlever ! »

Le Warmouhhé ne répondait rien, mais n’écoutait pas davantage. Il y avait dix ans que ça durait ainsi. La toison, de rousse qu’elle était, devenait blanche et sa femme pensait avec raison qu’il était temps que ça cesse. Pour forcer son mari à se faire raser, elle avisa d’un grand moyen. Pour être bien servi, il n’y a rien de tel que de se servir soi-même. Aussi, un matin, que le Warmouhhé, resté au lit, ronflait avec toute sa conscience de brave homme, elle s’approche hypocrite, avec de grands ciseaux, et d’un coup, crac ! Elle coupe tout un côté de la barbe. Puis, sans attendre que le tondu se réveille, elle s’enfuit en cachette.

Le Warmouhhé, bien reposé, ouvre enfin les yeux, sent le froid à la figure, passe la main sur l’endroit du délit et ramène la touffe. Comme vous l’auriez été à sa place, il fut bien étonné. Mais ça ne dura guère.

– « Hum ! » qu’il récrimina, « me voilà traité durement ! Elle est tout de même venue à bout de ce qu’elle s’est mise en tête. Je suis bien obligé maintenant de me faire raser la couenne. Mais, avant, au risque de me faire arrêter en me montrant ainsi dans la ville, je vais lui jouer un tour de ma façon. »

Pendant ce temps-là, la femme était rentrée, pas trop hardie, ma foi, et s’attendant bien aux reproches. Mais non, son Warmouhhé avait l’air tout joyeux et lui dit :

– « Il fait beau. C’est aujourd’hui la foire à Saint-Dié. Prépare le chariot, je vais atteler le cheval et nous irons tous les deux ! »

Elle n’osa pas répliquer et puis elle pensa qu’il ne s’était pas encore rendu compte, mais ça viendrait, et son premier soin en entrant dans la ville sera de se faire raser. Voilà donc nos gens partis. Les passants qu’ils croisaient écarquillaient les yeux et se mettaient à rire. Si le Warmouhhé faisait celui qui ne voit rien, sa femme commençait à se trouver gênée. Arrivés à Saint-Dié, ce fut bien pire. Le cheval dételé, mon tondu se mit à se promener avec sa femme dans tous les endroits où il savait rencontrer le plus de monde. Et c’était partout, en le voyant, des rires et des éclats de rire. Le Warmouhhé n’entendait et ne voyait toujours rien, mais sa femme aurait voulu être à cent pieds sous terre et cessait de se demander si son homme était bien aussi benêt qu’il en avait l’air. Pourtant, elle n’osait toujours rien dire. Mais il faut que la meilleure farce ait une fin, et il arriva un moment où le Warmouhhé fut bien forcé de faire semblant de comprendre. 

– « C’est donc Carnaval », lui dit quelqu’un, « que tu t’es fait pareille tête pour te promener sur la foire ? »

– « Non », répliqua-t-il, « mais j’ai oublié de me raser ce matin. Chaque nuit, je nourris autant de laine du côté qui est à l’air. Il n’y en a pas sur l’autre parce que c’est sur le côté où je me couche ! »

***

Lè bârbe do Warmouhhé

Lo Warmouhhé avoût ène bârbe aussi fornie et aussi mau peinîe qu’în fûtchot de stope; aussi rodje que, s’il avoût pessè lè tête zos lo tchèpé d’ène tcheminâye, a z-èrôt brait au feû. Comme è même taps, elle îre pus rûde qu’ène breuhhe de rècîne, sè famme n’ôsait s’y frottè lo musé et ne hôtait mi de lo tasticotè po qu’i lè fai’eusse tonde.

– « Pouhhé ! », qu’elle li dehit, « te n’as mi hontûx de te môtrè drât-haut lo leû èvo ène s’faite treutchie zos lè margoulatte ? Si te dajdes co ène câille, i faurè în fosseû po lè wèzè bès ! »

Lo Warmouhhé ne rèpondait rîn, mais n’escoutait mi dèvètèdje. I n’y avoût dêhh ans que ça dûrit dîna; lè twèsô, de rodje qu’elle îre, devenit biantche et sè famme passeut èvo râhô qu’il îre taps que ça hôteusse. Po forci s’n (h)amme è se faire rèsè, elle èvîseut d’în grand mou’în. Po ête bîn srevi, i n-în rîn de s’fait que de se srevi leu-môme. Aussi, în mètî que lo Warmouhhé, rèviè au lét, roûhhit èvo tout’ sè conscience de brôve (h)amme, elle s’eppreutche hhoûniâde, èvo dis grands cisés, et d’în côp, crac ! Elle hhnaque bès tot în cotè dè bârbe. Pis, snas ettâde que lo tondu se rèwâilleusse, elle s’esquivaude.

Lo Warmouhhé, bîn repôsè, devît enfî lis eûx, sète lo frâd è lè gamache, pesse lè main sus lo leû do dèlit et rèmeune lo fûtchot. Comme vos l’èrans stu è sè pièce, i feut bîn èbaubi. Mais ça ne dûreut wê.

– « Hum ! », qu’i règrèmeut, me valà rèvairi ! Elle è tot de même venu au bout de çu qu’elle s’è bottè das lè tête : dje seus bîn oblidji mèt’nant de me faire râkè lè cânne. Mais, dèvant, au risque de me faire errêtè è me môtrant dîna das lè ville, dje vais li djouè în toûr de mè façô. »

Do taps-là, lè famme îre ratrâye, mi trop hâdie, ma foû, et s’ettâdant bîn au derâd. Mais niant, so Warmouhhé avoût l’air tot djoyûx et li deheut:

– « I fait bî, ç’ast audjid’(h)eû lè foûre è Saint Diè. Prèpâre lo tché, dje vais ett’lè lo tchevau et dj’y vîros tos lis dûs’ ! »

Elle n’ôseut mi redjev’lè; et pis elle s’èpasseut qu’i ne s’è co dennè è de wâde de rîn; mais ça vârè, et so premer soin è n-atrant das lè ville serè de se faire rèsè.
Valà dô(c) notis djens pwatis. Lis pessants qu’is creûhant zlaihant lis eûx et se bottant è rîre.

Si lo Warmouhhé fai’it çu que ne voût rîn, sè famme èhatchit è se trovè djênâye. Errivès è Saint Diè, ce feut bîn pés. Lo tchevau dett’lè, mo tondu se botteut è se peurmenè èvo sè famme das tout’ lis leûx où qu’i savoût rescatrè lo pus de monde. Et c’îre tot-pwatot, è lo wè’ant, dis rîres et dis câkesses. Lo Warmouhhé n’au’it et ne wè’it tocoûs rîn; mais sè famme èrôt v’lu ête è cent pîds zos tîrre et hôtait pa se d’mandè si s’n (h)amme îre bîn aussi innôcent qu’i n-avoût l’air; portant, elle n’ôsait tocoûs rîn dîre. Mais i faut que lè mouilleûe farce ôt ène fî, et il erriveut în (h)èvî où lo Warmouhhé feut bîn forci de faire lè tchîre de compâre.

– « Ç’ast dô(c) Carnaval », li deheut quiqu’în, « qye te t’es fait s’faite tête po te peurmenè sus lè foûre ? »

– « Niant », qu’i rèpliqueut, « mais dj’ây rèviè de me rèsè lo mètî-ci, tchèque neûtie, dje neûrre auchtant de laine do cotè qu’ast è l’air; i n-în poit sus l’aute pace que ç’ast sus lo cotè-là que dje m’èdjês ! »

Nouvelles Fiauves et Contes des Vosges, Annonces des Hautes-Vosges, Eugène Mathis, le 17 mai 1964.

Traduction de la fiauve en patois de Fraize, près de Plainfaing et du Col du Bonhomme.

A noter que warmouhhé signifie ver blanc ou larve du hanneton en patois de Fraize.

Rédigé par André TOUCHET

Amoureux des langues régionales et de la Lorraine pour le Groupe BLE Lorraine.

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3 Commentaires

Répondre
  1. Bonsoir,

    Cette légende m’a fait bien rire. Merci à vous pour ce post.

    Mais j’ai eu un coup de foudre pour ces 2 peluches et je n’ arrive pas du tout à trouver sur le net pour les achetés. Existe t elle??

    Merci beaucoup pour votre réponse.
    Nathy

    • Bonsoir,

      Merci de votre retour positif.

      On peut généralement trouver ce genre de personnages dans des boutiques artisanales ou les marchés de Noël de la région. Mais c’est vrai que cette année, c’est plus compliqué du coup.

      Bien à vous,

      Thomas.

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