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Le Haras de Sarralbe entre dynastie Voyer d’Argenson et révolution

Caves du Domaine du Haras de Sarralbe restées intactes depuis leur construction en 1702 (Crédits photos : Katia SCHLICH pour le Groupe BLE Lorraine)

Dans le cadre d’un partenariat avec le site historique du Haras de Sarralbe, nous vous proposons de découvrir en exclusivité une série d’articles consacrés à ce monument emblématique du Pays d’Albe. Sixième épisode de cette saga en cette seconde moitié du XVIIIème siècle avec la famille Voyer d’Argenson.

Nous sommes en 1765. Un échange permet à Marc-René de Voyer (1722-1782) d’acquérir le Domaine du Haras. En effet, Louis XV, par lettre patente de 1765, confirme la donation faite en 1764 par le Duc Stanislas Leszczynski au Lieutenant Général des Armées Royales Marc-René de Voyer de Paulmy d’Argenson, Marquis de Voyer et à ses enfants, leur vie durant, du château du Haras et de ses dépendances. La transaction faite pour l’Entrepôt Général d’Asnières pour l’obtention du domaine sarralbigeois tient en une somme de 60 000 livres.

Comme convenu, au décès de Stanislas Leszczynski en 1766, la Lorraine et le Barrois sont définitivement annexés à la France.

Le Haras de Sarralbe à un tournant de son histoire

Mais revenons pour quelques lignes à l’acquisition du Haras de Sarralbe, à un siècle décisif de son histoire et à une période où les grands propriétaires terriens sont pour beaucoup issus d’une noblesse ancestrale, mais aussi baignés dans une mouvance propre au Siècle des Lumières.

Le Marquis de Voyer est le fils de Marc-Pierre de Voyer, Comte d’Argenson (1696-1764), Secrétaire d’Etat à la Guerre. Il est aussi le fils d’Anne Larcher de Pocancy, dite Comtesse d’Argenson (1708-1764), riche héritière qui prendra une part financière importante dans diverses acquisitions familiales. Il est aussi l’arrière-petit-fils de René de Voyer de Paulmy d’Argenson (1623-1700), ambassadeur à Venise pour Louis XIV, et de Marguerite Houilier de la Poyade. Marc-René de Voyer, dit le Marquis de Voyer, est donc issu d’une longue famille d’aristocrates proches de la cour et financièrement aisés. Il épouse en 1747 Constance de Mailly d’Haucourt (1734-1783), dénommée Marie-Jeanne-Constance de Voyer d’Argenson, ou Comtesse d’Argenson, qui n’a alors que douze ans, mais qui deviendra plus tard membre de l’Académie des Arcades, société de lettrés. Leur vaste correspondance témoigne d’ailleurs de l’autonomie intellectuelle grandissante acquise par les femmes dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, mais aussi de la construction d’une belle intimité conjugale fondée sur le partage des savoirs, ainsi que sur les idées progressistes qui animent les élites dans les vingt ans qui précèdent la révolution française.

Une famille aisée de bâtisseurs qui s’investissent surtout près de la capitale

Maintenant précisons quelques détails de cette transaction financière concernant le Haras de Sarralbe. Outre des ambitions artistiques et des aspirations philosophiques, le Marquis de Voyer est aussi un personnage passionné qui œuvre pour l’élevage des chevaux et l’aménagement de domaines. Placé sous l’autorité de son père, il est à la direction des Haras du Royaume.C’est ainsi qu’après le château des Ormes acheté par sa famille, il s’investit corps et âme dans le château d’Asnières. Celui-ci est joint à des écuries dénommées « Entrepôt Général des Haras d’Asnières ». Le site constitue d’ailleurs au milieu du XVIIIème siècle l’un des plus beaux domaines des environs de Paris. Mais même s’il ne se repend pas de ses dépenses, notre Marquis de Voyer s’endette … et, a priori, en appelle à ses connaissances.

L’échange fructueux du Haras d’Asnières contre celui de Sarralbe

Louis XV en réfère à son beau-père, Stanislas, et accepte le principe d’une contrepartie financière sous la forme d’un échange destiné à rembourser le marquis de ses avances et de ses services à la faveur d’une série d’actes officiels qui se déroulent entre 1763 et 1765. Ainsi, le roi accepte le « don » de l’Entrepôt Général des Haras d’Asnières, en échange de la propriété pour le Marquis de Voyer et ses descendants mâles du domaine lorrain, dont le revenu est déjà affecté à la caisse des Haras. Une opération lucrative pour le marquis qui, ayant démissionné des Haras, renonce aux douze mille livres de son traitement mais bénéficie en contrepartie des bons revenus de ces domaines qui se montent à 50 600 livres par an.

Les turbulences d’une cour de France

Il faut préciser que la famille Voyer d’Argenson est très proche de la cour. Le père, Comte d’Argenson, est successivement considéré comme l’homme du Régent, Philippe d’Orléans, exerçant les prérogatives royales pendant la minorité de Louis XV. Il est aussi un proche du Cardinal de Fleury. Devenu ministre, le Comte d’Argenson fait partie du cercle de la Reine, Marie Leszczynska, et marque un attachement à la personne de son père, Stanislas, Duc de Lorraine. Comme il est à la cour d’une nécessité absolue d’affirmer en permanence son rang, pour soi-même mais aussi pour toute sa famille, l’attachement du Comte d’Argenson pour son roi, dont tout dépend, ne peut être que source de faveurs comme de jalousies. Il se dépense sans compter au cours de la guerre de succession d’Autriche, et se trouve rapidement face à la jalousie de ses collègues, et plus encore avec le temps, à la haine de Madame de Pompadour et de son cercle. La tentative d’attentat sur la personne de Louis XV par Robert-François Damiens en 1757 fait que le roi finit par exiler son ministre dans sa terre des Ormes … Madame de Pompadour aurait rendu d’Argenson responsable de cet acte. Marc-René de Voyer entretient lui aussi des échanges houleux avec la marquise devenue une rivale définitive du clan, jusqu’à sa démission de Directeur Général des Haras du Royaume en 1763.

L’année 1764 correspond au décès de la Comtesse d’Argenson, mère du marquis, qui meure quelques heures seulement avant Madame de Pompadour, l’irréductible ennemie. Le Comte d’Argenson décédera dix jours plus tard, juste après l’autorisation royale lui permettant de quitter les Ormes pour revenir à Paris. Ayant connu trois petites-filles, il ne verra donc pas naître son unique petit-fils, à savoir Marc-René-Marie de Voyer (1771-1842), titré Comte puis Marquis d’Argenson. C’est donc peut-être à la suite de remords que Louis XV aurait attesté de la donation du Domaine du Haras aux seigneurs Voyer d’Argenson, mais ce qui est sûr, c’est qu’en 1765, tel est le cas. Le Marquis de Voyer décède en 1782, et laisse à son fils la succession de ces terres lorraines. Ce dernier jouit des revenus du haras jusqu’à la révolution, où le domaine devient un bien national et est mis en adjudication.

Tout en se tenant à l’écart des événements révolutionnaires, Marc-René-Marie de Voyer, fixé en famille au château des Ormes, où il s’occupe d’agriculture, rachète le Domaine du Haras en 1801 sous le nom de René Voyer, pour le revendre en 1804, précisément le 13 Floréal de l’An XII, principalement à Jacques Seiler et Louis Lorin, dont les descendants en sont encore propriétaires en 1939.

L’exploitation du haras par François le Breton

En parallèle de cette donation royale et de la succession, on retrouve dans les archives également le bail de sous-location concernant le Haras de Sarralbe, soit de 1759 à 1765 au nom de François le Breton. Ce dernier a obtenu, comme plus offrant, l’exploitation du domaine. Le bail se compose de douze articles rédigés de façon précise.

En voici le préambule : « La Chambre examine la requête du sieur François le Breton, bourgeois de Paris, présentée par Maîtres Patrel et Varin, notaires au Châtelet de Paris, en présence de M. Henry Elisabeth Moreau, bachelier en Médecine de la Faculté de Montpellier, demeurant à Paris, fondé de pouvoirs du Marquis de Voyer d’Argenson, Directeur Général des Haras de France, qui a laissé à titre de bail pour six ans jusqu’en octobre 1765 le Domaine du Haras de Sarralbe Bouquenom et dépendances au sieur François le Breton, aux conditions du bail du 26 juin 1759. »

L’acte notarié évoque un très grand et très beau château, bien entretenu, des terres labourables, des prés et des prairies. Il défend les droits de toute nature qui en dépendent, même casuels, même ceux qui demeurent réservés lorsqu’ils ne sont point exprimés, sans aucune exception, ni réserve. Exception faite du puits salé de Saltzbronn qui demeure réservé, mais les terres, jardins et dépendances dudit puits salé font partie du bail.

Ce dernier se monte à 60 000 Livres de Lorraine, correspondant à 46 451 Francs d’argent de France, en fermage pour chacune de six années. Le montant du bail est à payer à Paris entre les mains de M. Rouverelle, Trésorier payeur général des Haras de France, par paiements trimestriels à partir du 1er janvier 1760, sans pouvoir prétendre à des intérêts pour les sommes avancées.

Un bail détaillé au profit de la famille Voyer d’Argenson

L’Article Premier insiste sur ces paiements trimestriels. Dans le deuxième article, il est fait obligation au preneur le Breton de faire dresser à ses frais un procès-verbal d’état des lieux par le juge qui pourra en connaître, lequel sera contradictoire avec les fermiers sortants, sans que le Marquis de Voyer d’Argenson soit tenu de supporter les frais de vacations qu’occasionnerait ce procès-verbal. Seul objet de la procédure : concilier les fermiers actuels et le sieur le Breton. Le troisième article stipule que les bâtiments sont livrés en bon état et libres de toutes réparations. Le quatrième stipule que le bailleur devra entretenir lesdits bâtiments et les remettre en bon état à la fin du bail. Article Cinq : le Breton a la faculté de faire le recouvrement de tous les droits négligés par les précédents fermiers et régisseurs, de réunir à ses frais tous les domaines usurpés, abandonnés et de poursuivre les usurpateurs par toutes voies de droit raisonnables. Si les fermiers se pourvoient contre le marquis, le Breton doit l’indemniser de tous les frais. Article Six : le preneur peut poursuivre à ses frais tous ceux qui auraient commis des dégradations dans les domaines et dépendances. Article Sept : s’il se trouve dans l’étendue du domaine des terrains vagues, ledit le Breton peut les mettre en valeur pour en jouir à son profit et récupérer les frais engagés. Article Huit : le preneur et ses fermiers sont tenus de labourer, cultiver et ensemencer lesdites terres en gros et en menus grains par saisons convenables, suivant les charges et usages des lieux et de tenir les prés en bonne nature de fauche. L’Article Neuf précise que le bailleur est tenu de payer sans diminution le prix du présent bail, des charges et redevances passives du domaine. L’Article Dix précise que si durant le cours du bail, le preneur a recouvré ou réuni des domaines et droits domaniaux usurpés, il sera tenu compte pendant trois années à compter de 1759 du montant desdits domaines et droits recouvrés ou réunis en justifiant néanmoins par le bailleur desdits recouvrements ou réunions. L’Article Onze le reconfirme. Le dernier article stipule que le Breton fournira incessamment et sans frais au Marquis de Voyer, ou au sieur Moreau la somme des présentes en bonne forme et au surplus pendant sa jouissance de l’exploitation en bon père de famille.

Pour ce faire sont présents et sont intervenus Gabriel Teyvas de Lossedar, écuyer, fermier du Roy, demeurant à Paris, Rue d’Argenteuil, Marin Eusèbe Dumaine de la Josserie, Directeur Général des octrois municipaux et des Messageries des Trois-Evêchés de Metz, Toul et Verdun, demeurant à Metz, par lequel le sieur de Lossedar promet et s’oblige à faire ratifier les présentes.

On peut constater que la rédaction des différents articles du bail est méticuleuse et concerne toutes les possibilités d’interprétation dans le but de sauvegarder les intérêts du Marquis de Voyer d’Argenson et de sa descendance.

On peut en conclure aussi que ces différentes transactions financières et administratives sont bien loin du quotidien des habitants de la région et de la ville de Sarralbe. La révolution française met en fait fin à la tutelle oppressive du Haras, d’autant plus que Marc-René-Marie de Voyer, Comte d’Argenson (1771-1842), prend le cheminement d’une autre destinée. Devenu Lieutenant de Dragons en 1789, le jeune noble libéral embrasse la cause révolutionnaire aux côtés de La Fayette. Il abandonne l’armée en 1793 pour revenir à l’agriculture dans sa terre des Ormes et deviendra une importante personnalité politique.

Carl Wilhelm von Heideck : un autre enfant de la révolution

Carl Wilhelm von Heideck (1788-1861) est né à Sarralbe à la veille de la révolution française. Ne pouvant être baptisé à Sarralbe en raison de ses parents protestants, il le sera à Neusaarwerden, la ville neuve de Sarrewerden, qui formera ultérieurement avec Bouquenom la ville de Sarre-Union. Pour la petite histoire, après avoir passé plusieurs années en Grèce, il meurt à Munich. Au cours de sa vie aventureuse, il mène une double carrière militaire et artistique. En sa qualité de général de l’armée bavaroise, il est nommé membre du conseil de régence grec pendant la minorité du jeune Roi Othon Ier de Grèce. Artiste talentueux, il poursuit ses activités artistiques parallèlement à ses responsabilités militaires en réalisant de nombreux tableaux et dessins qui témoignent de son parcours et de ses voyages.

Une explication probable de sa naissance au Haras de Sarralbe

Hartmann Heidegger, père de Carl Wilhelm von Heideck, est attaché à la cour du Duc de Deux-Ponts Christian IV en ayant le grade de Major (Commandant), puis de son successeur Charles II Auguste de Palatinat-Deux-Ponts. Christian IV est lié d’amitié avec le Marquis Marc-René-Marie de Voyer d’Argenson, Directeur Général des Haras de France, et donc du Haras de Sarralbe, dont le fils de ce dernier a hérité. On peut très bien supposer que Hartmann Heidegger a fait des séjours dans ce haras sarralbigeois, et notamment en 1788 lors de la naissance de son fils, d’où la conclusion de ce lieu de naissance.

Le litige entre le haras et la ville de Sarralbe

Au XVIIIème siècle, la ville de Sarralbe est souvent en conflit avec les différents fermiers du haras. L’enjeu de ce différend est les droits afférents aux quatre moulins du ban communal : les Moulins Stadtmühle et Niederaumühle sur les bords de la Sarre, ceux de Hülzmühle (ou Hinzmühle) et de Bergmühle sur les rives de l’Albe.

Le haras revendique surtout les deux plus importants moulins : comme moulin domanial, celui de la Stadtmühle, et comme moulin banal, celui de Bergmühle, comportant notamment l’obligation de mouture (Mahlzwang) et celle de corvée (Frohnpflicht). Les prétentions du haras visent surtout le droit à la fourniture gratuite de bois d’œuvre de la forêt communale et celle de pierres de construction, matériaux destinés aux travaux d’entretien et de réparation de ces deux moulins et du domaine.

Le litige est permanent, la ville n’acceptant la corvée que pour le tournant de farine, mais le refuse pour les tournants à huile et à foulon, servant à la tannerie. D’après les édiles, cette obligation ne doit concerner que le moulin banal, à l’exclusion des autres.

Dans sa délibération d’opposition du 13 juin 1787, la ville qualifie les exigences du haras de servitudes terrifiantes et de corvées écrasantes. Il faut noter que la ville a dû fournir pour la réparation du Moulin Hinzmühle 80 troncs de chêne et trente cordées de pierre. Dans sa séance du 16 septembre 1787, le conseil municipal en émoi fait valoir que la ville n’a pas besoin de ce moulin parce que le Moulin Stadtmühle suffit amplement aux besoins de la population, et que, par ailleurs, le Moulin Hinzmühle accapare toute la clientèle des villages environnants.

La révolution met fin à la tutelle oppressive du Haras

Le Domaine du Haras est à cette période déclaré bien national. Il est amputé de ses terres situées dans le département du Bas-Rhin et de celles qui sont rendues aux communes de Willerwald et de Hambach, qui les ont réclamées comme biens de déshérence, c’est-à-dire comme leurs propriétés primitives. Mais le domaine comprend encore les trois moulins, sujets à contestation avant la révolution.

Le Domaine du Haras racheté aux enchères et revendu par René Voyer

Le Préfet de la Moselle fait vendre le Domaine du Haras aux enchères en 1801. Le Haras, nouvellement délimité, est acquis par le Comte d’Argenson, sous le nom, plus simple, de René Voyer, représenté par son homme d’affaires Jacques Masson. René Voyer le revend le 13 Floréal de l’An XII, soit en mai des années 1803-1804, principalement à Jacques Seiler et Louis Lorin, dont les descendants gardent encore leurs parts de propriétés jusqu’au XXème siècle.

Rédigé par Katia SCHLICH

Auteure d'un site internet historique sur le Haras de Sarralbe en Lorraine pour le Groupe BLE Lorraine.

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