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Histoire du Prieuré de Graefinthal près de Sarreguemines

Crédits photo : Daniel BUCHHEIT pour le Groupe BLE Lorraine

Graefinthal, qui signifie Val de la Comtesse en français, a été fondé en 1243 par la Comtesse Elisabeth de Bliescastel. En ce milieu du XIIIème siècle Ferry III est Duc de Lorraine. C’est sous son règne que la cité de Sarreguemines devînt lorraine en 1297. En échange, Ferry céda au Comte de Deux Ponts, en fief, la seigneurie de Bitche, qui était pourtant l’un des plus anciens domaines patrimonial de la famille ducale.

Par la même occasion les Ducs de Lorraine devinrent les avoués, c’est-à-dire les protecteurs, des abbés ou prieurs de Wadgasse, Graefinthal, Toley, et de leurs dépendances, ainsi que des vastes terres que possédaient les chevaliers teutoniques dans notre région. Ils protégeaient donc les biens d’église de Blies Ebersing, Bliesguersviller, Bliesransbach, Diebling, Graefinthal, Tenteling, Siltzheim, Wittring, et Zetting. Ce rôle d’avoué revenait alors au châtelain de Sarreguemines, vassal du Duc de Lorraine. Mais si ce XIIIème siècle était une époque de grande ferveur religieuse, Saint Louis était alors Roi de France, c’était aussi une époque très troublée. Des bandits de grands chemins et des soldats désœuvrés sans foi ni loi semaient en effet la terreur et faisaient régner un climat de grande insécurité. C’est ainsi qu’un groupe de ces bandits s’en prit un jour de 1243 à un moine ermite qui vivait à Graefinthal. Sans doute déçu par les pauvres biens de ce saint homme, ils s’en prirent à l’objet de sa dévotion : une pieta, c’est-à-dire une statue de la vierge portant le Christ mort, installée dans les branches d’un grand chêne. Faute de pouvoir l’atteindre, ils se vengèrent en la criblant de flèches. La statue de bois se mit alors à saigner de ses blessures. Un aveugle se lava les yeux avec ce sang et retrouva la vue. La Comtesse de Bliescastel, également malade des yeux, fit de même et fut pareillement guérie. Pour manifester sa reconnaissance pour cette guérison miraculeuse, elle fit, pour héberger la piéta, édifier un prieuré qu’elle confia à des moines de l’ordre de Saint Guillaume : les Guillemites (Wilhelmiten). Dès lors, et jusqu’à ce jour, Graefinthal devînt, un lieu de pèlerinage pour les fidèles de toute la région malgré une histoire très tourmentée.

En 1376, un terrible incendie ravagea le prieuré et faillit mettre un terme à la présence des moines qui furent cependant retenus par la ferveur des fidèles. Un nouvel incendie ravagea une fois encore les lieux en 1421. Mais il épargna la statue. Le prieuré reconstruit, les pèlerinages purent reprendre sans incident notable pendant un peu plus d’un siècle.

En 1525, dans le cadre de la Réforme, les paysans se révoltèrent contre les autorités constituées, c’est-à-dire la noblesse et l’église. Ils s’en prirent à l’Abbaye de Herbitzheim, avant de s’attaquer à Graefinthal. Jean de Braubach, Gouverneur de Sarreguemines, envoya ses hommes pour protéger le sanctuaire, mais ceux-ci ne purent s’opposer à la colère populaire. Les paysans commencèrent leur pillage, mais les envoyés de Sarreguemines réussirent néanmoins, en se faisant eux-mêmes passer pour des pillards, à cacher la statue miraculeuse dans un tonneau. La Réforme protestante n’atteignit pas Graefinthal, grâce à la protection du Duc de Lorraine. Certains habitants des comtés voisins qui avaient été contraints contre leur volonté à renoncer au catholicisme revinrent même clandestinement, à jeun et pieds nus, et parfois de nuit, témoigner de la fidélité à leur foi. Les pèlerinages purent alors à nouveau reprendre pour un peu plus d’un siècle, c’est-à-dire jusqu’à la Guerre de Trente Ans qui causa la destruction totale du prieuré et de l’église de Graefinthal. Mais par qui ? Les Croates, les Suédois, les impériaux, les Français ou les Espagnols ? Un chroniqueur accuse les « Brittaniques », ce qui est fort possible car les Français avaient à leur service des régiments irlandais et écossais. En 1642, il ne restait qu’un seul moine à Graefinthal : Hubert Sartorius, qui selon la tradition populaire, se nourrissait de glands et de bois de souche. Il faudra attendre les années 1697 et 1714 pour revoir des bâtiments solidement construits et de nouveau habités par des moines Guillemites.

Commença alors l’âge d’or du monastère. L’affluence des pèlerins était considérable, à tel point que beaucoup couchaient dans les granges, les étables et les écuries, et même derrière les haies par bonne saison. La situation devînt rapidement ingérable. Les jours de grand pèlerinage, comme le 15 août, la garnison de Sarreguemines devait fournir une véritable petite armée pour maintenir un peu d’ordre, d’autant que ces jours de grande fête étaient liés à de grandes foires annuelles.

Le plus illustre des pèlerins de cette époque fut sans aucun doute le Roi déchu de Pologne Stanislas Leszczynski, qui, réfugié à Deux Ponts, vînt souvent avec ses deux filles en pèlerinage à Graefinthal. L’une d’elle Anne, morte à l’âge de 18 ans, y est enterrée. L’autre Marie, deviendra en 1725 Reine de France par son mariage avec Louis XV. Les tractations pour ce mariage auraient d’ailleurs eues lieu au prieuré.

En 1847, un nouveau coup dur vînt frapper le lieu. La Comtesse de Bliescastel, Marianne von der Leyen, manœuvra pour obtenir la dissolution du Prieuré de Graefinthal et obtenir la sainte statue pour son église de Bliescastel, pour sans doute rehausser son prestige. Elle parvînt à ses fins en 1785, date à laquelle le pape ordonna la dissolution du monastère. Graefinthal fut abandonné par ses moines en novembre 1786. Pourtant, les pèlerins continuèrent à fréquenter les lieux. Vînt alors la révolution française et la confiscation des biens de l’église en 1793. Une grosse partie du monastère fur alors vendue à Jean-Baptiste Mathieu, futur maire de Sarreguemines. Ce commerçant installa dans l’ancien monastère une usine de tissage de soie, ce qui lui permit de restaurer et de sauver le cœur de la chapelle. C’est là qu’il fut enterré à sa mort en 1842. Après le Concordat conclu avec le pape par Napoléon, les pèlerinages reprirent malgré l’absence de la statue. On se rendit alors compte que les pèlerins étaient autant attirés par le lieu que par la statue. En 1866, pendant la guerre austro-prussienne, une terrible épidémie frappa la région (Kindbettfieber). Les habitants des villages voisins firent alors vœux de pèlerinage à Graefinthal pour se préserver de la maladie. Cette ferveur populaire poussa l’église à refaire de Graefinthal un lieu officiel de pèlerinage.

En 1935, la Sarre fut rattachée à l’Allemagne nazie. La frontière fut fermée et les pèlerinages devinrent impossibles aux Français. Ils recommencèrent cependant dès la fin de la guerre. En 1993, des moines réinvestirent le monastère. Ce ne furent plus des Guillemites, mais des Bénédictins. Ils s’appliquèrent à entretenir et à restaurer les lieux. Aujourd’hui, les pèlerins sont moins nombreux, mais l’endroit conserve son attractivité et il n’est pas rare d’y voir des Sarregueminois profiter de la quiétude du lieu.

Rédigé par Daniel BUCHHEIT

Passionné de médias et correspondant local à Sarreguemines pour le Groupe BLE Lorraine.

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Un Commentaire

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  1. Guillaume de Malavalle vivait au XIIème siècle. Après une vie dissolue, il fit un pèlerinage à Jérusalem. Il devînt ensuite ermite en Toscane, vivant très pieusement et se nourrissant de racines. Cette pieuse vie d’ascète attira de nombreux disciples. A sa mort, en 1157, ceux-ci fondèrent l’ordre des Guillemites régi par la règle de Saint Benoit, d’où leur parenté avec les Bénédictins. L’ordre, se propagea d’abord en Italie, puis dans le Saint-Empire, avant d’arriver en Flandre et en France. Il disparut progressivement dès le XVIIème siècle à la suite de la Réforme. C’est en raison de cette parenté que des moines bénédictins se réinstallèrent à Graefinthal en 1993.

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