Après un premier roman jeunesse écrit il y a cinq ans, Nicolas Schweitzer revient avec un nouvel ouvrage plus sombre et plus violent que le précédent. Dans Diabolus Sylvarum, il remonte aux racines de l’épaisse forêt autour de Metz qui semble abriter des créatures ancestrales tapies dans l’ombre. En ville, où règne en maître un tyran, la rumeur d’un démon qui hante les bois environnants se répand. Mais cette menace est-elle bien réelle ou est-ce le fruit de l’imagination des habitants ? Au fil des jours, des enlèvements de plus en plus nombreux se succèdent et l’angoisse gagne la population. De quoi remettre en cause les croyances les plus profondes et bousculer nos a priori ?
BLE Lorraine : Ce nouvel ouvrage a-t-il un lien avec le précédent, à savoir Frida et le peuple de la forêt ? S’inscrit-il dans une certaine forme d’antériorité des contes et légendes de la forêt de Metz qui ont bercé l’enfance de Frida ?
Nicolas Schweitzer : « Non, mais c’est très bien vu de votre part et ça aurait pu être le cas. Il faut dire que les similitudes sont fortes. Le terme d’antériorité que vous employez me parle d’autant plus qu’avec Diabolus Sylvarum j’essaie à certains moments de revenir à des choses encore plus primaires, plus pures. Ce qui rend ce livre plus « brutal » que le précédent. Je ne cherche pas à progresser, mais à régresser, d’une certaine façon. Pour imager, disons que j’essaie de faire du pain ! Les gens aiment les pâtisseries, mais ils ne peuvent pas se passer de pain ! Plus sérieusement et pour développer un peu, Frida et le peuple de la forêt faisait l’éloge de la fuite, de la possibilité de vivre en marge selon le célèbre adage « pour vivre heureux, vivons cachés ». Dans Diabolus Sylvarum, l’idée de vivre dissimulé est toujours très présente, mais il y a aussi l’idée d’affrontement, de lutte collective, pour en finir avec un despote et une société injuste. »

BLE Lorraine : Les Côtes de Moselle et plus particulièrement la forêt semblent jouer un rôle à part entière dans vos ouvrages, non ?
NS : « Oui, il faut dire que j’y ai toujours passé beaucoup de temps. C’est un refuge où je m’administre la solitude nécessaire à mon équilibre. La forêt a toujours été le lieu de tous les mystiques. J’aime les ambiances et les atmosphères qu’on peut y trouver à toute heure et en toute saison. Lorsque vient l’âge adulte, nous perdons notre capacité d’émerveillement, la machine nous broie totalement, alors je tâche de l’entretenir et, si possible, de la transmettre. N’est-ce pas cela qui rend l’existence désirable ? Certains vous diront que c’est le travail, l’argent et de parvenir à avoir le gazon le plus vert du quartier. A mon sens, c’est l’amour, au sens large, la musique, la littérature, la contemplation de la nature. Et c’est le plus souvent au sein des côtes de Moselle que je l’admire. »
BLE Lorraine : On retrouve également beaucoup d’allusions plus ou moins directes à l’histoire de Metz et de la Lorraine. Est-ce également une source d’inspiration pour vous et une forme d’ancrage de vos romans ?
NS : « Je suis né, j’ai grandi et je vis ici. Nous sommes au carrefour de l’Europe, nous avons une histoire riche et passionnante, donc oui, j’essaie d’avoir un ancrage local. Je suis attaché à l’endroit où je suis et j’aime ma région. Son patrimoine naturel est largement sous-coté et j’essaie de lui rendre hommage à ma manière. Mais sans « fierté » particulière, sans chauvinisme. Je n’oublie pas que ce n’est que le hasard de mon lieu de naissance. »
BLE Lorraine : Vous mettez également particulièrement en avant des héroïnes, à l’image de Brunehilde. Est-ce aussi pour vous un moyen de vous émanciper des codes traditionnels et de faire passer certains messages ?
NS : « Absolument, même si je suis attaché au conte traditionnel car j’aime les atmosphères qui s’en dégagent. Sans même parler du bonheur de respirer un vieux livre. Idem pour les dessins animés. Ce qui m’a marqué enfant, c’était Belle et Sébastien et surtout Rémi sans famille. Pas les « choses » bariolées qui gesticulent dans tous les sens pour ne pas dire grand-chose à l’arrivée. Dans le même temps j’essaie d’accompagner les combats émancipateurs de mon époque. A ce titre, trouver des femmes fortes qui prennent leur avenir en main dans mes deux livres n’est effectivement pas un hasard. »
BLE Lorraine : Comment avez-vous construit le personnage de Bessaraba qui est tourmenté et plus complexe qu’il n’en a l’air ? Quel symbole représente-t-il et pour quelles raisons ?
NS : « On peut imaginer qu’après avoir répandu beaucoup de sang dans son ancienne vie, Bessaraba part en quête de sens et tente d’apporter de l’harmonie dans un monde en souffrance. On peut s’imaginer également autre chose. J’aime l’idée que chacun se fasse son scénario. Il est à la fois inspiré par la figure du Dracula de Bram Stoker, par celle d’Aragorn dans Le seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien et enfin par celle d’Ashitaka dans Princesse Mononoké d’Hayao Miyazaki. D’ailleurs, si vous enlevez la dernière lettre de son prénom, vous allez tomber sur un très célèbre prince de Valachie ! Et puisque j’ai parlé de certaines influences, je dois aussi citer H.P. Lovecraft et la magnifique romancière finlandaise Aino Kallas à qui j’emprunte d’ailleurs le titre de mon livre, pour être complet. Il y a plusieurs clins d’œil à ces auteurs disséminés tout au long de l’histoire. Je me permets de conclure en vous indiquant que pour fêter l’arrivée de l’hiver (voir : https://www.blelorraine.fr/2020/12/la-fete-du-solstice-hiver-en-lorraine-ou-le-noel-originel/), nous avons lancé avec la talentueuse origamiste « Ma libellule Kaki » un pack regroupant mes deux livres, ainsi qu’une lune, une chouette et un loup, compagnons de papier pour s’aventurer dans la forêt nocturne. Je vous invite à découvrir la vidéo de présentation. »

