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Exploitation du sel dans le Saulnois et en Lorraine

La Porte de France à Marsal (Crédits photo : Joseph ADAMO pour le Groupe BLE Lorraine)

Le Saulnois est un petit pays qui s’étire, le long de la Seille, depuis Dieuze jusqu’à Château-Salins. Depuis toujours, ce petit coin de Lorraine est appelé le « Pays du Sel ». Il faut dire aussi que tout, ici, paraît se rapporter à cette denrée précieuse. A commencer par les noms de lieux. Marsal, par exemple qui n’est rien d’autre que la « mare salée ». Salival, au pied du Mont Saint-Jean et dont le nom signifie « val salé ». Château-Salins bien-sûr ou encore, tout simplement, le nom de la rivière locale, la Seille qui, en latin, se disait Salina, c’est-à-dire, « la salée ». Autant de toponymes qui viennent illustrer un fait surprenant : l’eau, dans ce pays, est salée ! Il n’est d’ailleurs pas rare de trouver, au bord de certains chemins du Saulnois, quelques plantes, comme la salicorne, que l’on s’attendrait plutôt à trouver à Guérande ou à Aigues-Mortes.

Denrée indispensable à la conservation des aliments, au point d’avoir été taxée, sous l’Ancien Régime, avec la très impopulaire gabelle, le sel a naturellement été exploité, en Lorraine comme ailleurs, depuis la plus haute Antiquité. A Marsal justement, les archéologues ont découvert des tessons de poterie datant de la protohistoire et qui se sont avérés êtres les débris des moules dans lesquels on avait pris l’habitude de fabriquer, de manière quasi industrielle, les précieux pains de sel. Ces débris sont si importants qu’ils forment, à Marsal, un véritable îlot artificiel connu, dans le jargon archéologique, sous le nom de « briquetage de la Seille ». Un gisement unique, qui nous permet de comprendre la méthode qu’employaient nos lointains ancêtres.

briquetage de la Seille
Briquetage de la Seille à Marsal (Crédits photo : Laurent Olivier)

Ayant remarqué la salinité des eaux de la contrée, ces derniers avaient en effet eu l’idée de placer l’eau saumâtre dans des godets en terre cuite qu’ils disposaient ensuite dans des sortes de grands fours alimentés avec le bois de la région. Sous l’effet de la chaleur, l’eau s’évaporait. On remplissait à nouveau les godets d’eau salée, et on recommençait l’évaporation jusqu’à ce que le godet soit rempli de sel. Il suffisait alors de casser le moule en terre cuite pour récupérer le pain de sel. En fait, ce procédé n’est ni plus ni moins que celui du marais salant, à cela près qu’on va chercher, ici, à accélérer l’évaporation en chauffant la saumure.

Véritable or blanc de Lorraine, le sel s’exportait, dès l’Antiquité, dans toute la Gaule Belge et jusqu’en Helvétie. Il va assurer la prospérité de la province, et susciter, tout au long des siècles, de puissantes convoitises. Au Moyen-âge par exemple, Evêques de Metz et Ducs de Lorraine se battent pour contrôler les salines. Aux XIIIème et XIVème siècles, le petit bourg de Marsal change plusieurs fois de seigneurs. Il est engagé dans le cadre de reconnaissances de dettes, assiégé par les Lorrains, repris par les troupes de l’Evêque de Metz. De 1553 à 1593, la ville est assiégée par les troupes françaises avant d’être finalement cédée au Duc de Lorraine Charles III. Le sel devient alors un véritable or blanc, qui rapporte gros, très gros … puisqu’à la fin du XVIème siècle, les salines du Saulnois représentent à elles seules la moitié des recettes du Duché !

Dans ces conditions, Marsal et ses voisins Vic et Moyenvic finissent par susciter toutes sortes de jalousies, à commencer par celle du Roi de France. En 1632, profitant des troubles de la Guerre de Trente Ans, le Roi Louis XIII et plus encore son diable rouge de Richelieu, parviennent à obliger le Duc Charles IV à signer l’infâmant Traité de Vic-sur-Seille qui, dès ses premiers articles, oblige le prince de Lorraine à laisser, à titre provisoire, Marsal au Roi de France ! Mais comme souvent, le provisoire finit par durer … En 1641, le Traité de Saint-Germain-en-Laye prévoit la restitution de Marsal au Duc de Lorraine. Mais à peine ce nouveau pacte est-il signé que les affrontements reprennent entre la France et la Lorraine. Le 2 septembre 1663, Marsal est assiégé par les troupes de Louis XIV. Désormais aux mains des Français, la place est fortifiée. On l’entoure d’un système de bastions à la Vauban, on y construit plusieurs corps de logis, pour les soldats. Plus encore : afin de montrer sa puissance, Louis XIV ordonne la construction de la Porte de France, monument prestigieux aux allures d’arc de triomphe. Il commande également à l’atelier des Gobelins la réalisation d’une tapisserie dans laquelle on met en scène la reddition de Marsal. La Fontaine lui-même, le fameux auteur des Fables, prend la plume pour écrire au Roi : « Marsal qui se vantait de te faire la guerre […] se rend et n’attend pas le coup de ton tonnerre ».

Anciennes casernes royales de la place fortifiée de Marsal (Crédits photo : Joseph ADAMO pour le Groupe BLE Lorraine)

Exploitées, un temps, pour le compte du Roi de France, les salines de Marsal sont finalement abandonnées dès 1699. Au XIXème siècle, c’est un peu plus au Sud, entre Nancy et Lunéville, que l’on va assister à un renouveau de l’exploitation du sel. Plusieurs puits sont foncés dans le but d’obtenir la précieuse saumure, mais des mines sont également créées, pour exploiter directement le sel gemme situé à 160 mètres sous terre. Dernière mine de sel à être encore en activité en France, la mine de Varangéville produit, avec un effectif de 260 salariés, quelques 625 000 tonnes de sel raffiné et 500 000 tonnes de sel gemme par an ! C’est, pour ainsi dire, l’or blanc de la Lorraine, que l’on utilise en cuisine bien sûr, que l’on transforme aussi pour l’industrie (carbonate de sodium) ou que l’on répand sur les routes, lorsque l’hiver est rude (et c’est souvent le cas en Lorraine) ou lorsque que les véhicules commencent à routscher, comme on dit chez nous.

Exploité en Lorraine depuis plus de trois millénaires, le sel est, avec le fer, le charbon et le bois, l’un des quatre éléments qui a assuré la prospérité, pour ne pas dire la fortune de la région. Malgré cela, l’histoire de son exploitation est encore largement méconnue. Dieu sait, pourtant, que cette histoire ne manque pas de sel !

Rédigé par Kévin GOEURIOT

Historien de la Lorraine, écrivain et professeur d’histoire-géographie pour le Groupe BLE Lorraine.

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