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De la Butte de Montsec au Saillant de Saint-Mihiel

Le Mémorial américain sur la Butte de Montsec devant le Lac de Madine (Crédits photo : Red BRANT pour le Groupe BLE Lorraine)

Lorsqu’on la contemple depuis le charmant village d’Hattonchâtel, la Plaine de la Woëvre ressemble un peu à un vaste océan. Une sorte de mer, immense, sur laquelle les clochers de quelques villages en perdition paraissent voguer comme des navires, vers un horizon, immense et azuré. Quand le vent, au printemps, agite les blés, l’impression est encore plus saisissante. On dirait de la houle. Des vagues. Du ressac. Et les mirabelliers, au pied de la Côte de Meuse, font jaillir leurs pétales blancs que l’on prendrait pour de l’écume.

La Côte de Meuse. Ici, elle s’étire, infinie, un peu comme le littoral. Point de jonction entre terre et mer. Et entre ciel et mer. Côte festonnée, avec ses caps, ses criques et ses péninsules. Avec ses îles aussi. Collines détachées du vieux Plateau Lorrain. Buttes témoins, comme disent les géologues. Et parmi celles-ci : le Montsec. C’est une colline, isolée, perdue au milieu de la Woëvre. Un sommet érodé, dont la silhouette, usée, se reflète dans les eaux grises du Lac de Madine. C’est un lieu de hauteur (377 mètres d’altitude) devenu haut-lieu de l’histoire.

Contrairement à ce qu’on entend souvent, le Montsec ne tire pas son nom de son aridité. Plusieurs sources coulent d’ailleurs sur les flancs de la colline. Non, en vérité, le toponyme pourrait être une déformation du « mons sacrum » des Celtes, cette colline sacrée, cette montagne magique au sommet de laquelle quelques druides avaient probablement coutume de se réunir, au solstice ou à l’équinoxe.

Mémorial de Montsec
Le Mémorial américain de Montsec est constitué d’une colonnade de style néoclassique (Crédits photo : Red BRANT pour le Groupe BLE Lorraine)

S’ils devaient revenir aujourd’hui, ces braves druides seraient surpris de trouver, en lieu et place de leur vieux sanctuaire, un monument tout en pierre blanche d’Euville. Une rotonde grandiose aux allures de temple romain. C’est qu’ici, en 1932, a été érigé un mémorial destiné à célébrer le sacrifice des soldats américains qui ont participé, à la fin de la Première Guerre mondiale, à la réduction du Saillant de Saint-Mihiel.

Le Saillant de Saint-Mihiel … C’est sous ce nom que l’on désignait, depuis 1914, l’étrange hernie, l’espèce d’avancée curieuse que le front décrivait dans ce secteur de Lorraine. Au tout début de la Grande Guerre en effet, forts de leurs succès en Lorraine et en Belgique, les Allemands avaient projeté de lancer une double offensive, de part et d’autre de la Meuse. Deux armées, à l’instar des mâchoires d’une tenaille, avaient reçu l’ordre de contourner et d’encercler Verdun. La « mâchoire » du Nord n’a pas fonctionné. Clouée en Argonne par une contre-offensive française, elle fixera le front sur une ligne qui va de la Butte de Vauquois jusqu’à Consenvoye, sur la Meuse. L’autre « mâchoire », en revanche, fonctionne à merveille. Le 24 septembre 1914, la ville de Saint-Mihiel tombe sous les bombardements du Troisième corps d’armée bavarois, commandé par le Baron von Gebsattel. Malgré les efforts engagés par chacun des deux camps, le front va alors se stabiliser et dessiner une sorte de vaste épine qui part des Eparges, file vers l’Ouest, jusqu’à atteindre la Meuse, avant de bifurquer, plein Est, à travers la Woëvre et jusqu’à Pont-à-Mousson.

Ce saillant, véritable épine plantée dans le talon d’Achille des Français dans la mesure où il coupe la route et la voie ferrée qui permet de relier Nancy à Verdun, va faire l’objet d’intenses efforts pour être supprimé ou « réduit », comme on dit en langage militaire. Mais en dépit des combats menés aux Eparges ou au Bois-le-Prêtre, la ligne de front ne bouge quasiment pas de toute la guerre. Il faut finalement attendre les 12 et 13 septembre 1918 et l’aide de l’armée américaine, commandée ici par le Général Pershing, pour que le Saillant de Saint-Mihiel soit réduit. Au total, 250 000 soldats, dont 216 000 Sammies (c’est le nom qu’on donne alors aux Américains) sont lancés dans la bataille. Ils ont le soutien de 3 100 pièces d’artillerie, 267 chars d’assaut et 1 444 avions. Face à eux, une douzaine de divisions allemandes et austro-hongroises, abritées dans des tranchées bétonnées mais passablement éprouvées par quelques quatre années de guerre. En une trentaine d’heures seulement, les forces franco-américaines, qui ont perdu 7 000 hommes mais ont fait prisonniers un peu plus de 13 000 Allemands, sont parvenues à atteindre leurs objectifs. La Butte de Montsec, que les Allemands avaient pourtant l’ordre de défendre à tout prix est conquise, au même titre que Vigneulles et plusieurs localités situées dans la Plaine de la Woëvre. Au soir du 12 septembre, Foch envoie à Pershing le télégramme suivant : « la première armée américaine, sous votre commandement, a remporté dans cette première journée une magnifique victoire par une manœuvre aussi habilement préparée que vaillamment exécutée ».

Le Mémorial de Montsec a été érigé en 1932 en pierre d’Euville (Crédits photo : Red BRANT pour le Groupe BLE Lorraine)

Une « magnifique victoire » dont le souvenir se devait évidemment d’être entretenu. Voilà pourquoi, depuis 1932, au sommet de la Colline de Montsec se dresse, à la fois austère et solitaire, cette rotonde immaculée, au centre de laquelle se trouve une carte en relief du champ de bataille. Classé Monument Historique en 1975, le Mémorial de Montsec reste aujourd’hui un but de promenade apprécié, qui offre en outre l’un des plus beaux points de vue qui soit sur cette Plaine de Woëvre aux allures d’océan. Mais de cet océan Atlantique alors, qui sépare notre vieux monde de cette Amérique qui nous a aidés à reconquérir notre liberté.

Rédigé par Kévin GOEURIOT

Historien de la Lorraine, écrivain et professeur d’histoire-géographie pour le Groupe BLE Lorraine.

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