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Tournoi médiéval mémorable à Chauvency-le-Château

chevalier

Il y a des lieux, comme ça, devant lesquels on peut passer, sans forcément se douter qu’ils ont été, à une époque plus ou moins reculée, le théâtre d’un événement important. Des endroits perdus, des angles morts qui, pourtant, ont vu se dérouler des rencontres décisives, des fêtes ou des batailles mémorables. Des lieux en somme, qui ne parlent plus franchement, parce que le champ de bataille s’est transformé en simple champ de blé ou parce que le château qui a abrité tel ou tel grand personnage n’est plus aujourd’hui qu’un monceau de pierres fissurées, au milieu desquelles courent le lierre et les vipères …

Chauvency-le-Château, petite localité située à mi-chemin entre Avioth et Montmédy, dans ce Nord meusien qui confine déjà à la Gaume belge, est un de ces lieux oubliés. Car qui sait, aujourd’hui, que ce petit village a été le théâtre d’un des plus grands tournois de l’époque médiévale ? Qui pourrait se douter qu’ici, à l’ombre de ces maisons construites en pierre dorée, entre ces collines verdoyantes où mûrit le blé de juillet s’est déroulé, en l’an de grâce 1285, une joute épique et mémorable ? Un combat grandiose en vérité, et qui serait probablement tombé dans l’oubli le plus total si Jacques Bretel, un trouvère aux rimes parfois un peu faciles, n’avait eu l’idée de l’immortaliser à travers un poème de près de 4 500 vers. Il ne nous reste, aujourd’hui, que deux copies complètes de ce poème. L’une est conservée à Mons, en Belgique. L’autre, de loin la plus remarquable, est gardée à la Bibliothèque Bodléienne, à Oxford. Ce manuscrit, véritable merveille de l’art médiéval, décrit par le détail les joutes et les festivités du fameux tournoi que le Comte Louis V de Chiny a donc fait donner à Chauvency, au mois d’octobre 1285.

Le dimanche par exemple fut consacré à l’installation des participants. Les lundi et mardi eurent lieu les premières joutes. Probablement une centaine d’affrontements par jour ! Mais le trouvère, dans son récit, n’évoque que les coups les plus spectaculaires. Ah, le beau spectacle, où toute la fine fleur de la chevalerie, qu’elle vienne de Lorraine, du Luxembourg, du Hainaut ou de la Picardie, du Palatinat, de la Champagne, de l’Alsace ou des Flandres, cherche à faire montre de sa force, de son habileté et de ses largesses aussi … Il faut dire que le tournoi a attiré du beau monde. Les seigneurs de Sierck, de Briey, de Bar et de Blâmont ont répondu à l’appel, au même titre que les Comtes de Salm, de Hattstatt et de Luxembourg. Depuis la Plaine de Flandre jusqu’aux rives du Lac Léman, c’est toute l’élite de la société aristocratique d’alors qui semble s’être donné rendez-vous à Chauvency !

Le jeudi, après un jour de repos, les passes d’armes reprennent. C’est d’abord le grand défilé. Tous les participants au tournoi paradent, en armure et bannières au vent, dans les rues de Chauvency. L’après-midi a lieu la mêlée. Les deux camps s’affrontent en champ clos. Allemands contre Français. C’est une véritable bataille reconstituée.

Hélas pour ces chevaliers, il n’y aura pas d’autre tournoi, dans l’immédiat, à Chauvency. Pas plus qu’ailleurs. Le destin en a décidé autrement … Le 5 juin 1288 en effet, dans les plaines de Worringen, près de Cologne, meurent, piétinés par leurs chevaux, le Comte Henri VI de Luxembourg et son frère, Waléran de Ligny, qui avaient tous deux pris part au tournoi de Chauvency. Quatorze ans plus tard, à Courtrai, la fameuse Bataille des Eperons d’Or voit mourir les seigneurs d’Apremont et d’Auberchicourt qui avaient eux aussi participé à la mêlée de Chauvency.

Se sont-ils souvenus, ces braves chevaliers, juste avant de piquer leurs chevaux et de partir au galop, se sont-ils souvenus de Chauvency, des joutes et de la mêlée, du banquet, des danses, des chansons et des rires ? Se sont-ils souvenus de ce petit coin de Lorraine, ce trou de verdure où chantait un trouvère qui parlait de guerriers et de grands coups d’épée ? Nul, hélas, ne pourra le dire.

Rédigé par Kévin GOEURIOT

Historien de la Lorraine, écrivain et professeur d’histoire-géographie pour le Groupe BLE Lorraine.

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