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Saint Nicolas entre histoire et légende

Elle est, sans conteste, l’une des plus importantes fêtes du calendrier lorrain. Pour ne pas dire la plus importante. La Saint Nicolas, fêtée chaque 6 décembre, revêt chez les Lorrains un caractère solennel, grandiose et immuable. C’est la fête des Lorrains ! Celle de leur saint patron. Celle où se mêlent, dans un subtil et poétique mélange, mille et une traditions, coutumes et chansons. A commencer par cette comptine, que l’on entend chaque année, au début du mois de décembre, à la sortie des écoles ou lors de quelque repas de famille :

« Ô grand Saint Nicolas patron des écoliers,

Apporte-moi des pommes dans mon petit panier.

Je serai toujours sage comme une petite image.

J’apprendrai mes leçons pour avoir des bonbons.

Venez, venez Saint Nicolas ! Venez, venez, Saint Nicolas ! »

Jolie chanson, un tantinet naïve peut-être et qui dispute la part belle à cet autre chant dans lequel on apprend la légende des trois petits enfants qui, arrivés chez un boucher un soir où ils s’étaient perdus dans une sombre forêt, furent coupés et mis au saloir avant d’être ressuscités, sept ans plus tard, par le grand Saint Nicolas. La ballade commence ainsi :

« Ils étaient trois petits enfants qui s’en allaient glaner aux champs.

Tant sont allés, tant sont venus que le soir ils se sont perdus.

Ils arrivèrent chez un boucher : boucher voudrais-tu nous loger ?

Entrez, entrez, petits enfants. Il y a de la place assurément »

Et elle s’achève par ces mots :

« Petits enfants qui dormez là, je suis le grand Saint Nicolas !

Et le saint étendit trois doigts, les trois enfants ressuscita.

Le premier dit : j’ai bien dormi ! Le second dit : et moi aussi !

A ajouté le plus petit : je me croyais en Paradis ! »

Ces chansons, tous les Lorrains les ont au moins entendues une fois dans leur vie ! Elles témoignent de l’attachement que le peuple de Lorraine a toujours porté à son saint patron et il n’est pas abusé de dire que la légende des trois petits enfants découpés par un sordide boucher fait partie de l’imaginaire populaire lorrain. Il faut reconnaître qu’elle est, cette légende, à la fois simple et pédagogique. La morale de l’histoire est en effet aisée à comprendre. Elle enseigne aux plus jeunes qu’il ne faut jamais s’éloigner de la maison et toujours rentrer avant la nuit. Pédagogique aussi car elle fait de Saint Nicolas un sauveur surpuissant. Et du méchant boucher, le futur Père fouettard généralement craint de tous les enfants qui savent ne pas avoir toujours été très sages.

Simple et pédagogique, la légende dite « des trois petits enfants » est de loin la plus connue. C’est d’ailleurs souvent grâce au baquet remplis de marmots que l’on identifie le plus souvent les statues et peintures qui figurent le saint patron des Lorrains. Pourtant, la résurrection des trois enfants est loin d’être le seul miracle accompli par le bon Saint Nicolas. En fait, il semble que notre personnage ait commis miracles sur miracles.

Car Saint Nicolas est avant tout un personnage historique. Né à Patare, en actuelle Turquie, aux alentours de l’an 270, le tout jeune Nicolas se serait tenu debout dès le jour de son baptême ! Ce fut là, rapportent les hagiographes, son premier miracle. Quelques années plus tard, une terrible épidémie de peste emporte les parents du jeune homme. Ce dernier sera alors élevé dans la foi chrétienne par l’évêque de Patare, qui incite Nicolas à distribuer la fortune dont il a hérité en œuvres de charité. C’est ainsi qu’un jour, Nicolas sauve de la prostitution les trois filles d’un de ses voisins en leur remettant une dot suffisamment confortable pour qu’elles puissent se marier. Cet élan de générosité, rapporté dans la Légende Dorée de Jacques de Voragine, semble avoir présidé à la suite des événements. Car peu après, Nicolas est choisi pour devenir évêque de Myre. Chrétien intransigeant, le jeune évêque se met alors à combattre l’hérésie et condamne avec véhémence toute forme de persécution religieuse. On raconte aussi qu’il aurait convaincu des armateurs byzantins à venir décharger une partie de leur cargaison de blé dans la ville de Myre qui souffrait alors d’une grande famine. Les marins, dès lors, se mirent à prier Nicolas et à lui vouer un culte certain.

Vitrail Saint Nicolas Toul
Vitrail représentant la vie de Saint Nicolas en la collégiale Saint-Gengoult de Toul (Crédits photo : Patrice GREFF pour le Groupe BLE Lorraine)

D’après les textes anciens, le pieux évêque de Myre aurait également sauvé trois officiers de l’Empereur Constantin injustement accusés d’avoir comploté contre leur souverain. Nicolas serait apparu en songe aux juges, promettant de graves châtiments s’il était fait le moindre mal aux trois innocents. Ce miracle pourrait être à l’origine de la légende des trois enfants ressuscités dans la mesure où l’iconographie ancienne avait coutume de représenter les trois officiers un peu plus petits que le « grand » Saint Nicolas. De là, les officiers peuvent effectivement avoir été assimilés à trois jeunes enfants.

Vers la fin de sa vie, Nicolas aurait quitté ses fonctions épiscopales pour se retirer dans un monastère. Saisi d’une fièvre, il se serait éteint au matin du 6 décembre 343. Enseveli dans un sarcophage de marbre, l’évêque aurait accompli un dernier miracle en laissant suinter de son tombeau une huile sainte censée guérir tous les maux.

Reliquaire renfermant la phalange de Saint Nicolas en la basilique Saint-Nicolas de Saint-Nicolas-de-Port (Crédits photo : Pierre LEHMANN pour le Groupe BLE Lorraine)

En 1087, l’histoire connaît un spectaculaire rebondissement. Craignant que le sarcophage ne tombe aux mains des Musulmans, des marins italiens venus accoster à Myre s’emparent du tombeau de Saint Nicolas ! Les reliques sont ainsi rapportées à Bari, dans les Pouilles, où elles vont vite accroître le prestige de la ville en en faisant un important lieu de pèlerinage. C’est ce transfert, que l’on dit avoir eu lieu un 9 mai, qui continue d’être commémoré au cours de la Saint Nicolas d’été.

Transférées des côtes turques aux Pouilles en l’an 1087, les reliques de Saint Nicolas vont dès lors entrer dans l’histoire de la Lorraine. Car à peu près à la même époque, un pèlerin lorrain du nom d’Aubert de Varangéville entreprend le voyage à Bari. D’après la légende, il y dérobe une phalange du saint évêque de Myre et la ramène dans ses bagages jusqu’en Lorraine. Mais, conscient qu’il vient de commettre là un impardonnable larcin, il va confesser son vol à l’abbé de Gorze, duquel il dépendait. Ce dernier entreprend alors de faire de la relique un lieu de pèlerinage. C’est ainsi qu’un premier oratoire va voir le jour à Port-sur-Meurthe, modeste localité située vis-à-vis de Varangéville. Agrandie au début du XIIème siècle, l’église accueille de nombreux pèlerins et devient une halte incontournable pour les marchands qui sillonnent la région.

En 1230, un nouveau miracle va accroître le prestige de la petite église de Port. Cette année-là en effet, l’Empereur germanique Frédéric II décide de se lancer dans la sixième croisade. Nombre de chevaliers l’accompagnent et parmi eux se trouve un certain Cunon de Réchicourt, seigneur lorrain que les Sarrasins vont malheureusement capturer. Dans sa geôle, le brave Lorrain se serait mis à prier Saint Nicolas, avant de sombrer dans un profond sommeil. Le lendemain, il se serait éveillé sur le parvis de l’église de Port-sur-Meurthe qui, dès lors, allait s’appeler Saint-Nicolas-de-Port. En guise d’ex voto, Cunon de Réchicourt aurait fait suspendre les chaînes qui le retenaient à un des piliers de la nef tout en instaurant une procession en l’honneur de « messire Saint Nicolas ».

Procession aux flambeaux en la basilique de Saint-Nicolas-de-Port (Crédits photo : Antoine Taveneaux)

Il convient de s’arrêter un instant dans nos récits et de dire quelques mots de cette procession qui passe pour être l’une des plus anciennes manifestations du genre en France ! Depuis l’an 1245 en effet, cette dernière réunit en la basilique de Saint-Nicolas-de-Port quelques centaines de fidèles Lorrains venus communier dans un esprit de concorde, de joie simple et de bienheureuse fierté. La procession dite « du sire de Réchicourt » a su garder au fil des siècles quelque chose de sacré et de merveilleux. Peut-être parce qu’elle bénéficie d’une mise en scène spectaculaire. En effet, la tradition veut que Lorrains et Lorraines défilent ce soir-là lentement, à la lueur des cierges, brandissant haut les bannières aux alérions et en chantant l’éternel refrain, connu de tous :

« Saint Nicolas, ton crédit d’âge en âge,

A fait pleuvoir tes bienfaits souverains.

Viens, couvre encor’ de ton doux patronage

Tes vieux amis les enfants des Lorrains »

Excellente fête de la Saint Nicolas à toutes et à tous ! Excellente fête aux Lorrains !

Rédigé par Kévin GOEURIOT

Historien de la Lorraine, écrivain et professeur d’histoire-géographie pour le Groupe BLE Lorraine.

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