Menu
in

Petite bibliographie de l’archéologue lorrain Jean-Vincent Scheil

Portrait du Père Scheil, Professeur d’assyriologie à la Sorbonne (Crédits photo : Bibliothèque de la Sorbonne)

Bien connu des juristes, le Code d’Hammourabi est l’un des plus vieux textes de lois au monde. Cette stèle de basalte compte près de 300 articles de lois écrits en écriture cunéiforme1 et en langue akkadienne2. Conservé au Louvre, le Code fait parti des incontournables du musée. Si tout le monde sait que la Pierre de Rosette a été déchiffrée par Jean-François Champollion, rares sont ceux qui savent que le Code d’Hammourabi a été traduit par Jean-Vincent Scheil, Professeur en Sorbonne, dominicain et Lorrain.

Né le 10 juin 1858 à Kœnigsmacker, village du Pays thionvillois, Jean Scheil débuta sa formation à l’école communale, puis au collège de Sierck. Souhaitant donner sa vie à Dieu, il étudia au Petit Séminaire de Montigny-lès-Metz et au Grand Séminaire de Metz. A l’instar de son frère aîné, Nicolas-Sébastien, Jean Scheil entra chez les Dominicains vers la fin de l’année 1881. Il y reçut le nom religieux de Vincent. Sa formation religieuse dura près de six années. En raison des « décrets » qui avaient interdit les congrégations religieuses, Jean-Vincent Scheil partit étudier en Espagne, puis en Autriche. Il prépara un doctorat en philosophie et en théologie. Il devait terminer sa formation de novice en Corse, où il fut ordonné prêtre en 1887. Durant ce temps d’études, il a pu développer ses aptitudes naturelles aux langues, aussi bien vivantes qu’anciennes.

En 1887, il s’installa à Paris. Sur les conseils de ses supérieurs, il s’inscrivit à l’Ecole des Hautes Etudes3. Là, il assista aux conférences d’égyptologie et aux conférences d’assyriologie dispensées par Arthur Amiaud. Malheureusement, la mort de ce dernier en 1889 priva le dominicain lorrain de son mentor en assyriologie.

Dès 1889, Jean-Vincent Scheil publia la transcription, la traduction et le commentaire d’une Inscription assyrienne archaïque de Samsi-Rammân, puis en 1890, les Inscriptions de Salmanazar II, roi d’Assyrie. Au vu de cette production scientifique, l’Ecole des Hautes Etudes l’envoya en Egypte en qualité de membre de la Mission archéologique française du Caire, appelée aujourd’hui Institut Français d’Archéologie Orientale. De 1890 à 1891, il participa aux fouilles de Thèbes.

Après avoir longtemps hésité entre l’égyptologie et l’assyriologie, Jean-Vincent Scheil opta définitivement pour l’assyriologie. Il avait toutes les qualités pour servir au mieux cette science naissante : un esprit méthodique, une vue précise et rapide, une mémoire visuelle nécessaire à la lecture des textes cunéiformes, des qualités d’intuition et une grande capacité de travail. En 1937, dans le livre Au service de Clio, le dominicain lorrain livra au public son grand intérêt pour l’historiographie assyrienne : « Là apparut dans toute sa nudité la manière particulière des annalistes assyriens : des faits, des dates, des noms, le genre historique comme nous l’aimons ».

Hammurabi
Code de Hammurabi, Roi de Babylone, face avant (Crédits photo : Mbzt)

Vers la fin de l’année 1892, sur proposition de Hamdi-Bey, Directeur du Musée Impérial Ottoman, Jean-Vincent Scheil dirigea, pour le compte du Musée, une mission de fouilles à Sippar, non loin de Bagdad. L’année suivante, il participa en qualité d’épigraphiste4 à la Mission Chantre à Boghaz-Keui, en Anatolie centrale. Au cours de la même année, il se rendit au Musée Impérial Ottoman de Constantinople pour classer ses découvertes faites à Sippar. Satisfait du travail du Père Scheil, Hamdi-Bey lui confia alors le classement et la rédaction du catalogue des antiquités chaldéennes, assyriennes et égyptiennes du musée. Jean-Vincent Scheil revînt pendant près de dix ans, chaque été, pour finaliser ce travail.

Fort de ces expériences, et sur les recommandations de Jules Oppert, Professeur d’assyriologie au Collège de France, Jean-Vincent Scheil rejoignit en 1895 la IVème Section de l’Ecole des Hautes Etudes. Jusqu’en 1902, il fut simplement Maître de conférences. En 1899, Jacques de Morguan le recruta en qualité d’assyriologue pour participer à la Mission de Suse, située aujourd’hui en Iran. Le Père Scheil devait participer à trois campagnes de fouilles. Les nombreux textes découverts à Suse furent pour la grande majorité d’entre eux traduits et publiés par lui dans des délais très courts.

Lors de la découverte du Code d’Hammourabi, de décembre 1901 à janvier 1902, Jean-Vincent Scheil était à Suse. Fidèle à sa réputation de travailleur infatigable, il transcrivit, traduisit et publia l’intégralité de ce texte en quelque mois. Pour le Père Scheil, « le Code de Hammourabi est un des monuments, non seulement de l’histoire des peuples d’Orient, mais encore de l’histoire universelle ». Cet exploit lui valut une immense reconnaissance de la communauté scientifique internationale. En 1902, il devint Directeur d’études adjoint à l’Ecole des Hautes Etudes. En 1906, il fut promu Directeur d’études.

A la suite du décès de Jules Oppert, en 1905, le Père Scheil fut pressenti pour lui succéder au Collège de France. Mais le ministre français de l’Instruction publique refusa de nommer un religieux à pareil poste. C’est l’un de ses élèves, Charles Fossey, qui fut alors nommé au Collège de France. Toutefois, la communauté scientifique sut reconnaitre à sa juste valeur les brillantes qualités intellectuelles du dominicain. Si bien qu’en 1908, Jean-Vincent Scheil fut élu à l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres.

Poursuivant sans relâche ses travaux et ses nombreuses publications, le Père Scheil prit sa retraite en 1933, atteint par la limite d’âge. Bien que retraité, il ne quitta pas l’Ecole des Hautes Etudes. Il devait en particulier y rédiger le catalogue des tablettes cunéiformes de la collection de l’institution. En 1939, il retourna pour la dernière fois dans son village natal, peu avant la nouvelle invasion allemande. Il s’est éteint à Paris le 21 septembre 1940. Il repose à Châtillon, dans les Hauts-de-Seine. Pour honorer sa mémoire, la Ville de Metz a donné son nom à une rue située aux confins des quartiers du Sablon et de l’Amphithéâtre.

Dans l’une de ses conférences, Dominique Charpin, Professeur au Collège de France, ancien Directeur d’études en assyriologie et « héritier du Père Scheil » à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, a retenu trois points principaux de la vie et de l’œuvre de Jean-Vincent Scheil : « le contact avec les documents originaux, le souci de la formation des jeunes et l’importance d’une diffusion rapide des recherches ».

Notes explicatives :

1 – L’écriture cunéiforme utilise des caractères en forme de clous et de coins.

2 – La langue akkadienne est l’une des plus anciennes langues sémitiques connues. Elle était parlée et écrite en Mésopotamie du IIIème au Ier millénaire avant J-C.

3 – Aujourd’hui Ecole Pratique des Hautes Etudes

4 – Spécialiste de l’épigraphie, à savoir de la science qui étudie les inscriptions sur les matières durables (pierre, bois, etc.)  

Rédigé par Matthieu CASALI

Membre de la Société d'Histoire et d'Archéologie de la Lorraine et de l'association des amis du Père Scheil pour le Groupe BLE Lorraine.

Répondre

Quitter la version mobile