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Solstice d’été et traditions des feux en Lorraine

Lancement de la roue enflammée au sommet du Stromberg lors des feux de la Saint-Jean à Sierck-les-Bains (Crédits photo : Thomgege)

Parmi les nombreuses coutumes liées au solstice d’été, la tradition la plus vivace consiste à allumer, autour du 24 juin, d’immenses feux de joie autour desquels chacun vient faire la fête.

Appelés « fackel » en Alsace, « chavande » dans les Vosges et le Sud Lorrain ou encore « bûle » en Lorraine du Nord, ces feux sont également censés permettre de brûler tous les mauvais souvenir de l’année. Symboliquement, chacun y jette ses soucis, ses regrets, ses peines et ses malheurs. Et l’on repart à zéro. Effaçant ainsi les tracas de toute une année. Il est des communes qui jouent sur ce symbole, en plaçant au sommet du bûcher une sorcière remplie de pétards ou un épouvantail un peu ridicule. Etonnant mélange des genres qui renoue, d’une certaine manière, avec le paganisme.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Comment expliquer, sinon, certaines traditions qui, comme à Sierck-les-Bains, paraissent héritées de la nuit des temps ?

Dans cette petite ville située aux confins de l’Allemagne et du Luxembourg, la Saint-Jean se prête en effet à une curieuse coutume, pleine de symbolique, de charme et de magie. Les habitants du pays allument chaque 24 juin une roue de paille au sommet du Stromberg, une colline couverte de vignes et comme enlacée par un méandre de la Moselle. La roue, qui mesure un peu plus de deux mètres de diamètres, est ensuite amenée à dévaler la colline. Le spectacle est magique et curieux à la fois. La légende raconte que si la roue de feu termine sa course dans la Moselle, les récoltes seront tout bonnement exceptionnelles.

Saint-Jean Sierck-les-Bains
Préparation de la roue pour les feux de la Saint-Jean à Sierck-les-Bains (Crédits photo : Thomgege)

Ce rituel ancestral, attesté à Sierck depuis le Moyen-âge, semble être un héritage direct du paganisme celte. Pour plusieurs folkloristes, cette roue de feu symboliserait le Soleil dont la course ne finit jamais. Et la tradition de la roue enflammée ne serait donc qu’un résidu d’un ancien culte solaire. A moins qu’il ne s’agisse d’une réminiscence chrétienne. Dans son ouvrage intitulé Traditions populaires, croyances superstitieuses, usages et coutumes de l’ancienne Lorraine, M. Richard rapporte en effet qu’un ermite, retiré sur les hauteurs d’une montagne de Lorraine aurait précipité dans la Moselle une statue d’Apollon ou de Belenos. Et l’auteur d’ajouter que les gens de la région continuent de faire dévaler, chaque 24 juin, une roue de feu dont la course imite celle de la statue païenne.

Il semblerait toutefois que Sierck n’ait pas eu le monopole de cette tradition. Une transaction passée en 1565 entre Yolande de Bassompierre, abbesse du chapitre noble d’Epinal, d’une part, et les élus de la ville d’autre part, nous informe que la dame céda aux Spinaliens une portion de forêt, afin, dit le texte, « d’être affranchie de l’obligation de leur fournir, à l’avenir, la roue de fortune et la paille pour la former. Dans les Hautes-Vosges également, il semblerait que la tradition ait été pratiquée.

Symbole païen à peine teinté de christianisme, la bûle de la Saint-Jean et ses variantes Sierckoise ou vosgiennes demeurent des emblèmes du folklore lorrain. Elles constituent une sorte de repère dans l’année. Un peu comme un phare qui guide les marins. Avant la Saint-Jean et ses feux, la nature est conquérante, les jours ne font que rallonger. Mais une fois la bûle éteinte, les jours se font moins longs. Et les nuits, plus fraîches. C’est un peu, en somme, ce que notait Victor Hugo, dont le père, rappelons-le, était Lorrain, dans ces quelques vers pleins de mélancolie :

« Pour qui vit comme moi les fenêtres ouvertes,

L’automne est triste avec sa bise et son brouillard,

Et l’été qui s’enfuit est un ami qui part. »

Rédigé par Kévin GOEURIOT

Historien de la Lorraine, écrivain et professeur d’histoire-géographie pour le Groupe BLE Lorraine.

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