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Vitraux de Kimsooja à la cathédrale de Metz

Les vitraux de Kimsooja en la cathédrale de Metz (Crédits photo : Christian SCHMITT pour le Groupe BLE Lorraine)

Les vitraux de l’artiste sud-coréenne Kimsooja constituent-ils une nouvelle révolution visuelle pour la cathédrale de Metz ?

La cathédrale Saint-Etienne de Metz, qui possédait déjà la surface vitrée la plus importante de toutes les cathédrales d’Europe avec 6 500 mètres carrés de vitraux, s’est particulièrement singularisée après la Seconde Guerre mondiale avec son entrée fracassante dans la modernité. Elle rompit en effet avec l’académisme ambiant de l’art sacré de l’époque puisqu’on fit appel à des artistes de renom tels que Jacques Villon, Roger Bissière et Marc Chagall pour remplacer des vitraux anciens endommagés.

Certes, cette audace résultait avant tout de la volonté d’un homme, Robert Renard, le nouvel architecte en chef des Monuments Historiques, qui avait rejoint les acteurs du renouveau parmi lesquels le Père dominicain Alain Couturier. On retiendra d’ailleurs de ce religieux atypique cette affirmation qui se révélait être sans ambiguïté pour l’avenir : « Mieux vaut faire appel à de grands artistes sans la foi qu’à des croyants sans génie. »

Ce message semble d’ailleurs avoir porté ses fruits puisque depuis l’ouverture à « l’art de notre temps » de notre cathédrale, les querelles paraissent déjà dépassées, comme résultant d’un autre âge. Bien entendu, le temps est passé par là, mais, surtout, la vraie réussite de l’introduction de l’art contemporain dans ce lieu résulte de sa parfaite adéquation avec l’esprit de ces lieux cultuels. En apportant, en effet, un nouvel art de la couleur, les vitraux contemporains, mieux parfois que d’autres, ont souvent permis de faire vibrer ce sens de l’infini comme pour attester de la présence divine. Donnant rétrospectivement raison à Saint Bonaventure, qui au XIIème siècle, consacrait déjà le bien-fondé de ce lien : « la lumière vient de Dieu et les couleurs viennent de la lumière ».

Par ailleurs, le mouvement d’ouverture à l’art de notre temps reste toujours autant actif et présent dans notre cathédrale puisqu’en 2022 une nouvelle étape a été franchie. Avec les seize baies du transept Sud de la cathédrale réalisées par l’artiste sud-coréenne Kimsooja, on connait ainsi les tous derniers développements de ce même courant avant-gardiste. Cette artiste avait été choisie à l’issue d’une commande publique menée par la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles). Avant elle, des artistes de renom avaient déjà été sollicités, à l’image de Gérard Garouste en 1991 et de Jean-Pierre Raynaud en 2014, mais leurs propositions n’avaient pas abouti avec le clergé.

Qui est Kimsooja ?

Née en 1957 à Daegu, en Corée du Sud, Kimsooja se présente comme une artiste multidisciplinaire, plasticienne et vidéaste. Très tôt, son travail se focalise sur l’étoffe et le tissu qui deviennent ses matériaux emblématiques. Elle se sert dit-on du tissage comme allégorie à la féminité. Après des études de peinture à l’Université de Séoul et ensuite dans un atelier de lithographie à l’Ecole Nationale des Beaux-arts de Paris, elle n’a cessé ensuite d’effectuer des va-et-vient entre New-York, Séoul et Paris.

Kimsooja
L’artiste sud-coréenne Kimsooja (Crédits photo : Yann Gachet)

On peut découvrir son travail dans beaucoup d’endroits et lieux différents, aussi bien dans des Musées (Guggenheim, Centre Pompidou-Metz en 2015), que des galeries américaines ou européennes, ainsi qu’aux biennales et triennales internationales de Busan (2022 et 2016), Venise (2007, 2013 et 2019) ou encore Istanbul (1997). A l’image de ses différents déplacements dans le monde, sa pratique artistique est multiple et multiforme. Rien d’étonnant alors si son langage artistique se développe à partir des performances, des films et des photographies.

Kimsooja est une artiste du XXIème siècle, une artiste nomade qui épouse son temps et son époque. Un art inaugurant un monde ouvert, qui débarrassé des frontières ainsi que de toutes formes de préjugés et de discriminations, puisse développer une conscience humaniste de l’altérité. C’est pourquoi, pour elle, l’idée de partage devient de plus en plus prégnante dans ses nouvelles réalisations artistiques. Selon Emma Lavigne du Centre Pompidou-Metz, qui rapporte les propos de l’artiste, « il faut une œuvre qui ne soit pas possédée mais partagée par le maximum de visiteurs », d’où son intérêt croissant pour l’art visuel.

Depuis la Biennale de Venise en 2013 et surtout depuis Metz en 2016 au Centre Pompidou, elle va expérimenter un travail sur l’univers coloré et introspectif. Son installation To Breathe va notamment transfigurer l’espace du Centre Pompidou-Metz. Afin de permettre cette métamorphose, les surfaces vitrées sont recouvertes de filtres qui diffractent la lumière naturelle en un spectre chatoyant. Cela permet de casser les limites naturelles par un jeu de transparence entre intérieur et extérieur. Il s’agit certes d’un jeu visuel pour éveiller les sens du spectateur, mais au-delà d’un simple spectacle qui produit égarement et étonnement, il ne s’agit rien de moins que de permettre un voyage dans un autre monde.

L’installation To Breathe de Kimsooja au Centre Pompidou-Metz (Crédits photo : Christian SCHMITT pour le Groupe BLE Lorraine)

A la suite de ce travail au Centre Pompidou, la cathédrale de Metz devenait alors presque le passage obligé pour continuer en quelque sorte ce même voyage visuel initiatique. Pour son projet de création, il avait été retenu le transept Sud de la cathédrale Saint-Etienne, en remplacement d’une vitrerie losange dépourvue de verres colorées. Le travail de Kimsooja concerne en tout seize baies vitrées à deux lancettes chacune. Les baies se répartissent de façon égale sur les deux faces du transept, à raison de huit baies sur chacune des deux qui se trouvent vis-à-vis dans le triforium du bras Sud du transept, soit huit baies face Est et huit face Ouest.

Les couleurs d’Obangsaek et leur interprétation

Kimsooja a tenu à conserver le motif d’origine des verres losangés qui existaient initialement. Mais pour les couleurs des verres, elle reprend les couleurs traditionnelles d’Obangsaek, le spectre des couleurs en Corée. Ces dernières représentent les directions et les points cardinaux. En effet, en Corée, chacune des cinq couleurs est associée à une direction : le jaune au centre, le Bleu à l’Est, le Blanc à l’Ouest, le Rouge au Sud, et le Noir au Nord. Cela conduit à observer un dégradé de couleurs allant du jaune orangé au violet, à l’identique d’un arc-en ciel. En parcourant du regard l’ensemble des 32 lancettes logées dans les deux faces, en partant de la face Est jusqu’à la dernière lancette de la face Ouest, on découvre alors le même jaune orangé tout au début mais également à la fin comme s’il s’agissait d’un récit qui ne se terminait jamais puisqu’il est en boucle. Le mouvement circulaire de la répétition crée alors un hors-le-temps, où le passé côtoie le présent, le jadis le maintenant. Un voyage perpétuel à travers le temps qui donne effectivement l’illusion de l’éternité. De plus, cette impression d’échapper au temps résulte aussi de la volonté de la créatrice de vouloir faire de ses vitraux un véritable tableau bidimensionnel.

Les couleurs de l’Obangsaek sont présentes dans les vitraux réalisés par Kimsooja en la cathédrale de Metz (Crédits photo : Christian SCHMITT pour le Groupe BLE Lorraine)

Le projet a été réalisé en collaboration avec le maître verrier Pierre Parot. Le processus créatif a permis de mélanger les techniques traditionnelles aux techniques les plus modernes. Ainsi, on a pu combiner les verres soufflés traditionnels aux verres industriels dichroïques qui changent de couleur en fonction de la lumière.

L’ancrage et la mobilité, les deux thèmes majeurs de son œuvre

La création vitrailliste de l’artiste renvoie en fait aux deux thèmes majeurs que l’on découvre en permanence dans toute son œuvre, à savoir l’ancrage et la mobilité.

L’ancrage, c’est d’abord sa façon de retourner aux techniques ancestrales. Dans ses différentes installations, cela prend souvent la forme du drap de lit et du tissu de fabrication coréenne qu’elle utilise comme base dans ses différentes installations. S’agissant de la cathédrale de Metz, Kimsooja a également eu recours à la tradition, puisqu’elle conserva le motif des verres losangés, semblables à l’existant. Ainsi, au lieu d’un changement radical, elle privilégia l’association entre le verre traditionnel soufflé et un verre industriel dichroïque, les deux verres étant assemblés à l’aide d’un montage Tiffany. A noter que toutes les pièces ont été brasées au moyen de tiges d’étain au lieu du plomb.

La mobilité, qui est l’autre terme de sa démarche artistique, renvoie aux personnages filmés dans la rue qui sont une manière pour elle de saisir le côté fuyant et fugace de la vie. Cela provient de ses performances filmées engageant son propre corps. La vidéo-installation la plus connue fut Needle Woman (1999-2001). L’artiste apparaît de dos, son absence de mouvement contraste avec les vagues de piétons qui l’entourent. Elle met en évidence l’opposition entre un temps individuel métaphysique et la vitesse du temps collectif. Le corps immobile bouscule, en inversant le concept de l’artiste comme acteur prédominant au profit de la foule qui devient en réalité l’acteur principal. C’est en fait ce renversement de statut que l’artiste propose également à la cathédrale de Metz et qui constitue à l’évidence la vraie révolution apportée par ses vitraux.

C’est le regardeur qui fait l’œuvre

En effet, Kimsooja renverse le statut de l’artiste en tant qu’acteur prédominant. Toute son œuvre nous invite en permanence à questionner notre existence, le monde et les épreuves majeures auxquelles nous faisons face actuellement. C’est pourquoi Kimsooja veut nous rendre acteur de notre destin, d’où son effacement. Ainsi, à la cathédrale, en utilisant le verre industriel dichroïque, l’artiste a voulu concrétiser ce renversement de statut. Grâce à ces vitraux, c’est le regardeur qui devient dorénavant actif et qui occupe la place principale. Le verre dichroïque permet ce renversement puisqu’il change de couleur quand on se déplace et lorsque la lumière le traverse. Le regardeur devient alors le véritable acteur de l’œuvre. Celle-ci dépend de son regard. Elle se modifie au gré de ses passages et en fonction des moments de la journée. Ce renversement de statut de l’artiste au profit du regardeur est une révolution qui nous vient de Marcel Duchamp.

Les vitraux de Kimsooja changent de couleur quand on se déplace et lorsque la lumière les traverse (Crédits photo : Christian SCHMITT pour le Groupe BLE Lorraine)

Agissant à l’opposé d’un Courbet qui pose les regardeurs et les modèles dans la passivité, comme un artiste démiurge, Marcel Duchamp disparait au profit du regardeur, le seul sujet   actif. C’est pourquoi l’on dira que c’est le regardeur qui fait l’œuvre et qui occupe la place principale. D’ailleurs, Emma Lavigne avait bien pressenti que le travail de Kimsooja serait une œuvre tout à fait singulière à la cathédrale de Metz.

Aux côtés opposés des mémorables vitraux réalisés dans les années 1960 par Marc Chagall dans le déambulatoire Nord, son œuvre n’est pas une intervention classique. Ses vitraux affirment leur présence d’une façon différente. La lumière s’efface pour rejaillir à d’autres moments, installant rythme et intensité dans le transept, attribuant par conséquent une place privilégiée au visiteur.

Enfin, il n’est pas surprenant de constater que cette nouvelle proposition vitrailliste s’inscrit en réalité dans une parfaite cohérence par rapport aux autres réalisations d’artistes contemporains. Entre la Chapelle du Saint-Sacrement, où Jacques Villon, frère de Marcel Duchamp, fit déjà éclater la lumière de mille façons, et de l’autre côté, Chagall, qui la créa dans l’endroit le plus sombre de la cathédrale, Kimsooja se situe en fait à mi-chemin puisqu’elle déconstruit et recompose également à sa manière la lumière. Certes, certains esprits chagrins diront qu’elle joue seulement avec la lumière, alors que Chagall, lui en revanche, la crée. Mais c’est oublier aussi que cette artiste nous offre à travers cette nouvelle palette visuelle abstraite une expérience personnelle, singulière et unique, puisque nous devenons, grâce à elle, tous acteurs de son œuvre.

Rédigé par Christian SCHMITT

Critique d’art, auteur d’ouvrages et correspondant culturel local à Metz et en Pays Messin pour le Groupe BLE Lorraine

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