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Histoire et Renaissance à Marville

Marville, charmante cité Renaissance en Lorraine (Crédits photo : Joseph ADAMO pour le Groupe BLE Lorraine)

Tout au Nord du département de la Meuse, aux confins de la Belgique et du Luxembourg, le petit village de Marville se signale par un patrimoine bâti remarquable, essentiellement hérité du XVIème siècle, époque durant laquelle la Lorraine connaît un véritable âge d’or. Sauf que Marville, à cette époque justement, ce n’est pas tout-à-fait la Lorraine.

Depuis le Moyen-âge, le village occupe en effet une situation particulière, à la frontière même des Duchés de Bar et de Luxembourg. Cette position géographique, au cœur d’une zone militairement et politiquement neutre connue sous le nom de « Terres Communes », assurera à la petite ville une prospérité exceptionnelle, à une époque où les guerres de religion semaient, d’un bout à l’autre de l’Europe, leur lot d’exactions et de malheurs.

Bâtie sur un éperon rocheux qui domine les boucles de l’Othain, à proximité de la route qui relie Metz à Carignan et donc, plus largement, la Lorraine aux Flandres, la petite ville va vite tirer parti de sa situation. A la Renaissance, les habitants de Marville, enrichis par le négoce des tissus, du vin et de mille autres produits, n’hésitent pas à faire montre de leur réussite. Ils se font édifier des maisons élégantes et des hôtels particuliers dans une pierre locale, toute dorée, qui ajoute encore au caractère clinquant de leurs demeures. La Maison du Drapier ou, plus encore, celle dite du Chevalier Michel, pour ne citer que ces deux-là témoignent aujourd’hui encore du soin apporté par les Marvillois dans la construction de leurs demeures. Cette dernière notamment, avec sa loggia à deux niveaux, paraît directement inspirée de quelque villa toscane ou italienne. Les bas-reliefs qui y sont sculptés, longtemps restés mystérieux, semblent faire référence à la mythologie antique ou à quelques passages bibliques. On croit deviner, entre d’opulentes feuilles d’acanthe, un David en train de terrasser un Goliath un peu court sur pattes ainsi qu’un enfant chevauchant un cheval et quelques personnages aux postures assez étranges.

Marville Meuse
Marville a été bâti sur un éperon rocheux (Crédits photo : Joseph ADAMO pour le Groupe BLE Lorraine)

A un jet de pierre de cette belle maison et comme adossée aux vieux remparts de la ville, l’église Saint-Nicolas élance elle aussi ses formes Renaissances dans le ciel meusien. Trapue, avec son clocher massif et tout recouvert d’ardoise, l’édifice, classé monument historique dès 1920, referme de véritables trésors. Là, sous les voûtes de style gothique flamboyant, le visiteur se surprend en effet à admirer la grâce d’une vierge couronnée ou l’austère morgue du tombeau de Salantin de Gavroy. La tribune d’orgue, majestueuse, tout comme l’élégante chapelle Sainte-Fine, achèvent de donner à l’église de Marville des allures de petite Florence. Rien d’étonnant alors qu’avec un patrimoine aussi riche, le village ait servi de décor à quelques productions cinématographiques et télévisuelles telles que le Fou de Sainte-Clotilde, épisode de la série Maigret ou encore, en 2015, le film historique Suite française, avec Matthias Schoenaerts et Kristin Scott Thomas, dont l’action se déroule dans un village appelé Bussy mais qui, en réalité, n’est autre que Marville.

Joli village Renaissance où il fait bon vivre, Marville semble aussi être un lieu où il fait bon mourir. Sur la colline située en face du village s’étale, à l’ombre d’arbres centenaires, ce qui est certainement le plus beau cimetière de Lorraine. Là, autour de la chapelle Saint-Hilaire, des tombes, de toutes les époques, s’alignent dans une poésie à la fois gothique et romantique. Le temps, qui a effacé nombre d’épitaphes, a aussi patiné les stèles et les monuments, donnant à chaque pierre des allures mystérieuses et sauvages. Il faut l’arpenter, ce cimetière, dans la lumière dorée d’une fin d’après-midi. Ou en automne, quand le vent du Nord fait entendre ses râles lugubres et que mille feuilles toutes piquetées de rouille tourbillonnent sous un ciel couleur de plomb. L’âme, alors, se surprend à rêver, au milieu des allées. Elle s’étonne de trouver, remisé dans sa niche comme un vieux chien battu, un Christ de pitié dont le visage, terriblement expressif, paraît vouloir nous rappeler que nos tourments sont peu de choses au regard de ceux vécus par nos ancêtres. Un peu plus loin, ce sont les apôtres, reconnaissables à leurs attributs, qui s’alignent sur des pierres penchées, aux allures de menhirs. Pierre fait la causette avec Jean, et Philippe tourne le dos au grand Jacques.

Le cimetière de Marville est l’un des plus beaux de Lorraine (Crédits photo : Joseph ADAMO pour le Groupe BLE Lorraine)

Et puis, quand on contourne la chapelle, on tombe, et c’est bien le cas de le dire, sur ce bâtiment, ce petit édicule isolé, au fronton duquel est notée cette phrase, aux allures d’anathème : « Nous avons été comme vous. Vous serez comme nous. Priez pour nous. » Le curieux s’approche alors de la grille qui ferme le bâtiment. Stupeur ! Un mur de crânes et de tibias s’offre à lui. L’ossuaire de Marville, le plus poignant de la région, n’afficherait pas moins de 40 000 crânes au regard médusé du promeneur solitaire. Certains d’entre eux, tirés de l’anonymat, sont enfermés dans des petites boîtes en bois dont la forme rappelle celle des cadrans d’horloge. Oh ! Le beau symbole. Des horloges, dont le cadran ne montre rien d’autre que deux grandes orbites vides. Deux yeux de morts et qui cherchent à nous faire méditer sur le temps qui passe. Memento mori. Chaque minute, chaque seconde frappe l’humain en plein cœur. Seule la dernière tue. Qu’auraient-ils à nous dire, ces crânes taciturnes, sinon qu’il faut profiter de la vie et savourer chaque instant ? Faire fi, en somme, de l’inexorable course de la Lune et du Soleil. Oublier les jours, les semaines et les années qui s’accumulent sur nos frêles épaules. Se moquer du tic-tac de l’horloge. Ou des grains du sablier.

La chapelle Saint-Hilaire au cimetière de Marville (Crédits photo : Joseph ADAMO pour le Groupe BLE Lorraine)

Oui, ils nous diraient, ces crânes oubliés, combien il est nécessaire de savoir prendre son temps. De prendre le temps, avant qu’il ne nous prenne. De consentir, aussi, à donner de son temps et peut-être même, de temps en temps, à perdre de son temps. Ils nous diraient, en somme, que le temps n’existe peut-être pas. Et que chaque jour de la vie n’est rien d’autre qu’une petite Renaissance.

Rédigé par Kévin GOEURIOT

Historien de la Lorraine, écrivain et professeur d’histoire-géographie pour le Groupe BLE Lorraine.

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