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Tradition du sapin de Noël en Lorraine

Contrairement à une idée reçue, la coutume de décorer un sapin pour les fêtes de fin d’année ne date pas, en Lorraine tout au moins, de la plus haute Antiquité. Les premières mentions d’arbres de Noël remontent seulement à la fin du XVème siècle et émanent presque toutes des villes hanséatiques situées le long des rives de la Mer Baltique. Les habitants de la Lettonie prétendent que le premier sapin de Noël aurait été décoré dans leur capitale, Riga, à la fin de l’année 1510. La coutume de décorer un arbre de fruits, de sucreries et de rubans serait donc apparue dans le monde germanique.

Un livre de comptes émanant de la commune de Sélestat nous indique que le 21 décembre 1521, les gardes forestiers de la ville furent sollicités afin de surveiller que de trop grands arbres ne soient pas prélevés dans les bois environnants. On peut supposer que la tradition de l’arbre de Noël était déjà connue à cette époque, de l’autre côté des Vosges. Selon Claude Baillaud, il semblerait toutefois que la coutume d’ériger un arbre de Noël ne se pratiquait, au XVIème siècle, que dans les sièges des différentes corporations de métiers. Ainsi, à Strasbourg, les tonneliers, les bouchers et les tanneurs avaient chacun leur arbre de Noël. Il faut attendre le XVIIème siècle et plus encore le prospère XVIIIème siècle pour que la tradition gagne enfin les intérieurs familiaux et commence, lentement, à franchir les Vosges. D’après quelques sources anciennes, le sapin de Noël était en effet connu au Bitscherland et dans les environs de Phalsbourg dès les lendemains de la révolution française. A noter également que c’est toujours au milieu du XVIIIème siècle qu’aurait été dressé le premier arbre de Noël à Versailles, sur les sollicitations de la Reine Marie Leszczynka, la très polonaise épouse de Louis XV, et fille, rappelons-le, de notre célèbre Stanislas.

sapin de Noël d'autrefois

La Guerre de 1870-1871 va exporter un peu plus encore le traditionnel arbre de Noël. L’Annexion de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine obligent en effet nombre d’Alsaciens et de Mosellans à s’expatrier. Ceux-ci s’installent dans les Vosges, à Nancy ou même Paris. Et avec eux, se trouvent souvent, dans leurs bagages, quelques traditions venues du pays natal. L’arbre de Noël, garni de bredele, de bougies et de rubans fait alors son apparition dans quelques familles lorraines résidant principalement à Nancy ou dans les vallées vosgiennes. Dans le reste de la Lorraine et notamment dans le Pays-Haut, l’occupation allemande durant la Première Guerre mondiale contribue à faire entrer le sapin de Noël dans les maisons. Plusieurs photographies, prises pendant la Grande Guerre, nous montrent en effet des femmes et des enfants lorrains, les hommes étaient alors au combat, en train de réveillonner avec l’occupant, autour d’un sapin de Noël à la fois exotique et chétif. Mais la tradition, si elle apparaît bien dans l’espace situé entre front et frontière, disparaît dès 1918. Il faut dire qu’émanant de l’occupant, elle restait souvent considérée comme une absurde « bocherie ».

Ce n’est donc qu’après la Seconde Guerre mondiale que la tradition qui consiste à dresser un sapin de Noël et à déposer quelques cadeaux à ses pieds s’installe durablement dans les foyers lorrains. Initiée par les Allemands, réinventée par les Américains aux lendemains de la Libération, le sapin de Noël garnit les vitrines de quelques commerçants lorrains durant les Trente Glorieuses. Dans les années 1960-70, les comités d’entreprises prennent l’habitude de faire un « arbre de Noël » et c’est ainsi que, peu à peu, le traditionnel sapin va s’imposer dans les familles.

Objet décoratif autant que symbolique, l’arbre de Noël est généralement dressé une semaine avant Noël. Mais cela n’est pas systématique. D’aucuns le préparent dès la Saint-Nicolas. Et d’autres encore ne le font que quelques jours avant Noël. Pour ne le « démonter » qu’après la fête des rois. Il faut dire aussi que le sapin de Noël est devenu une grande affaire ! Il y a ceux qui, pensant être écologiques, optent pour le sapin artificiel, qui se réutilise plusieurs années mais qui reste presque impossible à recycler. Et il y a les inconditionnels du naturel. Encore que même-là, on distingue deux camps. Le premier réunit les adeptes de l’épicéa qui « sent bon le sapin », mais dont les aiguilles piquent et ne durent guère. Le second camp se compose des fans de Nordmann, sapin trapu, sans grand parfum mais qui résiste mieux que son cousin vosgien. Car ce que peu de gens savent, c’est que la Lorraine est, avec le Morvan, l’une des principales régions productrices de sapins de Noël. Même le grand sapin qui orne, chaque année, le marché de Noël de Strasbourg vient de Lorraine ! N’en déplaise aux Alsaciens.

Décorer le sapin ! Un moment privilégié, que l’on partage en famille et qui se conclue souvent par un chocolat chaud ou un bon goûter. Pour certains cependant, l’aventure ne s’arrête pas là. Car en plus du sapin, une mode venue d’Amérique voudrait que l’on décore, en plus du sapin, maison, jardin et quartiers entiers ! Certains d’ailleurs s’y donnent à cœur joie, créant des décors incroyables, féériques, parfois surchargés, voire un tantinet kitsch. Mais qu’importe ! Ils distribuent tous du rêve en mettant des étoiles dans les yeux des enfants.

Rédigé par Kévin GOEURIOT

Historien de la Lorraine, écrivain et professeur d’histoire-géographie pour le Groupe BLE Lorraine.

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