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Histoire de l’Imagerie d’Epinal

Le Musée de l'Image et l'Imagerie d'Epinal (Crédits photo : Google Street View)

On ne peut pas passer par Epinal, la coquette préfecture du département des Vosges, sans s’arrêter à l’imagerie, cette célèbre fabrique inscrite au titre des Monuments Historiques depuis 1986 et véritable emblème du patrimoine populaire lorrain. Chacun connaît, d’ailleurs, au moins une image d’Epinal, qu’il s’agisse d’une de ces fresques évoquant les exploits de l’armée napoléonienne, une poupée en carton à habiller de vêtements prédécoupés, de maquettes d’avions ou de fermes vosgiennes ou encore de ces fameuses devinettes qui demandent de retrouver, dans un décor souvent fait de branches et de rocaille, la silhouette d’un voleur, d’un animal ou de je ne sais quelle princesse.

Chacun connaît donc les images d’Epinal. Mais qui connaît vraiment l’histoire de cette fabrique plus de deux fois centenaire ? Les procédés de fabrication et la manière dont ces images étaient diffusées, au XIXème siècle, dans les régions les plus reculées du pays ?

Petite aux grelots
Image d’Epinal de la petite aux grelots

Pour connaître cette histoire fascinante, il faut remonter le temps. Nous sommes en 1796. Cette année-là, Jean-Charles Pellerin décide de diversifier son activité en fabriquant, en plus des cartes à jouer qui ont fait sa réputation, des images pieuses et des scènes de genre. Fabriquées de manière totalement artisanales, ces dernières sont imprimées à partir de planches de bois gravées et encrées, exactement comme on le faisait depuis l’époque de Gutenberg. Les images étaient ensuite coloriées au moyen de pochoirs, ce qui explique la présence de couleurs vives et rarement nuancées. Des couleurs un peu criardes donc et qui donnent aux images un caractère un peu naïf, qui va pourtant faire le style et la réputation de l’imagerie Pellerin.

D’abord quasiment confidentielle, la production de l’imagerie finit par devenir presque industrielle sous le Premier Empire. Il faut dire qu’en bon patriote, Pellerin n’hésite pas à relayer les actualités, et notamment les victoires napoléoniennes. A cette époque, graveurs et coloristes s’appliquent à immortaliser la bataille des pyramides, les prodigieuses charges de cavalerie qui font la gloire de la Grande Armée ou encore la mort de tel ou tel maréchal. Ces images, généralement vendues par des marchands colporteurs qui allaient de village en village, finissaient souvent par orner les intérieurs, souvent sombres et ternes, de nos ancêtres. On les retrouvait punaisées dans l’alcôve ou sur un des murs de la pièce à vivre. On les collectionnait. On les changeait, de temps à autre. Inquiété, lors de la Restauration, pour sa collaboration à la propagande impériale, Jean-Charles Pellerin finit par laisser l’entreprise à son fils, Nicolas.

Histoire du Petit Chaperon Rouge

Vers le milieu du XIXème siècle, la technique de la lithographie apporte une première révolution dans le système de fabrication des images. Adieu le bois. Désormais, on grave sur des pierres tendres un dessin qui va être beaucoup plus fin et beaucoup plus soigné que ce qu’on pouvait obtenir avec la xylogravure. Avec plus de 6 000 pierres conservées, l’Imagerie d’Epinal est un véritable musée vivant de cette technique aujourd’hui oubliée. On grave, on encre, on imprime et surtout on vend des sujets nouveaux. Les enfants deviennent une clientèle nouvelle et privilégiée, pour laquelle on fabrique des images morales, des jeux de construction ou encore des planches de petits soldats en uniformes, prêts à être découpés et rangés comme pour la parade.

Machine servant à la mise en couleurs des images d’Epinal (Crédits photo : Fantafluflu)

Concurrencée, entre 1861 et 1888 par la fabrique Pinot, l’imagerie fondée par Jean-Charles Pellerin connaît quelques difficultés à la fin du XIXème siècle. Malgré tout, elle continue de faire bonne impression. Ses images sont désormais connues dans le monde entier. A la veille de la Première Guerre mondiale, les théâtres de papier, les dirigeables et autres avions à construire, au même titre que les planches militaires, se vendent comme des petits pains. L’imagerie sait renouveler ses sujets, et elle le fait savoir ! Pour un temps du moins. Car au XXème siècle, l’apparition de nouveaux médias et plus encore de nouveaux matériaux, porte un rude coup à l’imagerie populaire. Quel gamin peut encore s’intéresser aux images d’Epinal, à l’heure du plastique et des premiers écrans ? Les parents eux-mêmes boudent les images, qu’ils trouvent vieillottes et leur préfèrent les jeux de mécano, les poupées en celluloïd, dont la dernière fabrique de France se trouve à Etain, dans la Meuse, puis, plus tard, les game boy et autre cartes Pokemon.

Dans les années 1980, l’imagerie tente de se refaire une santé en s’associant à des artistes, comme Fred ou Jacques Tardi. Mais cela fonctionne mal. Très vite, c’est le dépôt de bilan. Rachetée en 1984 par une cinquantaine de passionnés, le site est transformé en une sorte d’écomusée. On fait fonctionner les machines pour quelques visiteurs, nostalgiques des bons points distribués à l’école et de quelques images qui ont marqué leur enfance. Et puis … en 2014, l’imagerie est reprise par deux entrepreneurs, ainsi que par la Ville d’Epinal. Labellisée « Entreprise du patrimoine vivant », elle accueille, juste à côté du Musée de l’Image, de nombreux touristes avides de connaître les secrets de fabrications des célèbres images. Des festivals, comme les Imaginales d’Epinal ou des expositions permettent également d’offrir une certaine visibilité à ce patrimoine populaire à la fois fragile et original.

Rédigé par Kévin GOEURIOT

Historien de la Lorraine, écrivain et professeur d’histoire-géographie pour le Groupe BLE Lorraine.

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