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Le Hackenberg en Lorraine

Tourelle au gros Ouvrage du Hackenberg à Veckring (Crédits photo : Mapio - Tourisme en Moselle)

Près de Veckring, en rive droite de la charmante Vallée de la Canner, au Nord du département de la Moselle se dresse, impressionnante et mystérieuse, l’énorme silhouette du Hackenberg. C’est une colline, comme on en trouve des centaines dans la région. Mais cette colline-là est riche d’une histoire à la fois grandiose et mouvementée.

Pour bien comprendre cette histoire, il faut commencer par faire un grand saut dans le temps. Remonter, pour ainsi dire, à l’Antiquité. D’après certains historiens, le Hackenberg aurait en effet abrité, dès l’époque préromaine, des cultes païens liés au ciel ou au cycle des saisons. Il n’est pas impossible non plus que le sommet de la colline ait accueilli, durant la période gallo-romaine, un temple dédié à Mercure, divinité souvent invoquée sur les hauteurs et au sommet des montagnes.

Au Moyen-âge, le site est christianisé. Une chapelle, une école et un cimetière s’implantent tout au sommet de la colline, à 343 mètres d’altitude. Tous servent à l’usage des paroissiens de cinq villages environnants. Cela signifie que les jeunes écoliers de Veckring, de Buding ou de Budling devaient, par tous les temps, gravir les pentes du Hackenberg pour pouvoir suivre les cours. Il en allait de même des funérailles, où les cercueils étaient hissés au sommet de la montagne pour enfin être inhumés.

Montagne emblématique et presque sacrée pour les gens qui peuplent les rives de la Canner, le Hackenberg va surtout entrer dans l’histoire au cours de l’entre-deux guerres. Dès la fin des années 1920, la France, sentant bien que les conditions particulièrement dures du Traité de Versailles suscitent, en Allemagne, un sentiment de revanche grandissant, décide de se lancer dans la construction d’un vaste système défensif qui serait à la pointe de la modernité. Selon le mot du Lorrain André Maginot, redevenu, en 1929, ministre de la guerre, « le béton vaut mieux [pour la défense des frontières] et coûte moins cher que le mur de poitrines ». Dès 1928, on prévoit donc l’édification, le long des frontières franco-allemande et franco-italienne, Mussolini était alors regardé comme un danger plus sérieux que l’Allemagne de la République de Weimar, d’une série de forts censés offrir, en cas d’agression, un mur de feu dont les tirs croisés rendraient le territoire français impénétrable.

galerie Hackenberg
La galerie souterraine principale à hauteur des blocs 8 et 10. Les deux embranchements en arc-de-cercle permettent d’accéder aux magasins à munitions (Crédits photo : Udo Ungar)

Les premiers travaux débutent dès 1928. En Lorraine, les forts de Fermont, près de Longwy, du Galgenberg, près de Cattenom, du Hackenberg, du Michelsberg et, plus à l’Est, du Bambesch et du Simserhof, en Pays de Bitche, font l’objet d’importants travaux. Entre les régions fortifiées de Metz et celle de la Lauter, dans l’Est du département de la Moselle, on prévoit d’arrêter l’ennemi en inondant, à l’aide de digues et de barrages, de vastes portions de territoires. C’est ce qu’on appelle la « Ligne Maginot aquatique ».

De tout ce système de fortification, l’Ouvrage du Hackenberg devient vite le plus important. Avec ses 19 blocs de combats en surface, reliés entre eux par des galeries souterraines, il est le maillon le plus essentiel de la chaîne de défense. Construit en seulement six ans, de 1929 à 1935, le Fort du Hackenberg pouvait accueillir 1 040 soldats et 43 officiers. La garnison devait pouvoir vivre en autarcie pendant plusieurs semaines. Aussi trouvait-on, dans les galeries souterraines de l’ouvrage, les casernements, des réserves d’eau, de nourriture et de gazole, un central téléphonique et, bien sûr, un magasin à munitions qui pouvait accueillir plus de 34 000 obus ! Lesquels obus étaient acheminés vers les postes de tir par un train électrique. Assurément, le Hackenberg était à la pointe du progrès.

La cuisine de l’Ouvrage du Hackenberg était ultramoderne pour l’époque (Crédits photo : Udo Ungar)

Et pourtant, cela n’a pas suffi. En septembre 1939, face à l’invasion allemande en Pologne, la France déclare la guerre à l’Allemagne nazie. Mais pendant près de neuf mois, il ne se passe rien. Sagement retranchées derrière les forts de la Ligne Maginot, les Français attendent. C’est la « Drôle de Guerre ». Et puis, soudain, c’est la panique générale. Le 10 mai 1940, Hitler lance ses troupes vers l’Ouest. Comme en 1914, ces dernières traversent la Belgique et le Luxembourg pour entrer en France par les Ardennes, un secteur que le système Maginot avait négligé de fortifier, car on le pensait impraticable pour les blindés. Très vite, la plupart des ouvrages se font donc contourner. Investir. Conquérir. Le 4 juillet 1940, le Fort du Hackenberg tombe aux mains des Allemands. La garnison se constitue prisonnière. Seuls 54 hommes restent sur place pour expliquer le fonctionnement du site, que les Nazis transforment en usine d’armement. En novembre 1944, les Allemands tentent de freiner la progression américaine en utilisant les pièces d’artillerie du Hackenberg. Mais après deux jours de combat, les Américains de la 90th DI parviennent à neutraliser le bloc 8, qui opposait le plus de résistance.

Le bloc 8 du Hackenberg porte encore les stigmates des bombardements américains de la libération en 1944 (Crédits photo : Nicolas Bouillon)

Réaménagé par les Américains durant la Guerre Froide, l’Ouvrage du Hackenberg est confié, en 1975, à l’association Amifort-Veckring qui s’applique à l’entretenir et à le faire connaître. Désormais ouvert aux visites, il accueille chaque année entre 40 000 et 50 000 curieux ! Des visiteurs qui comprennent, ici mieux qu’ailleurs, que la Lorraine est bel et bien une terre de guerres … et aussi de paix !

Rédigé par Kévin GOEURIOT

Historien de la Lorraine, écrivain et professeur d’histoire-géographie pour le Groupe BLE Lorraine.

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