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De l’Histoire de Lorraine de Dom Calmet

L'Abbaye de Senones dans les Vosges (Crédits photo : Patrice GREFF pour le Groupe BLE Lorraine)

A l’Est du département des Vosges, dans la charmante Vallée du Rabodeau, l’ancienne Abbaye de Senones continue d’impressionner, par la dimension de ses bâtiments, les passants qui flânent dans ce petit coin de Lorraine que domine la silhouette du Donon. C’est une abbaye ancienne, fondée au VIIème siècle, en même temps que les couvents d’Etival, Bonmoutier, Saint-Dié et Moyenmoutier qui formaient tous les cinq ce qu’on avait pris l’habitude d’appeler la « Croix des Vosges ».

Mais Senones, contrairement aux quatre autres abbayes dont on vient de citer les noms, a eu, dans son histoire, un petit quelque chose en plus. Un abbé hors du commun. Un personnage d’une culture et d’une érudition exemplaires. L’auteur de L’Histoire ecclésiastique et civile de Lorraine, un ouvrage en trois volumes, imprimé à Nancy, pour la première fois, en 1728 et qui reste regardé, aujourd’hui encore, comme une somme incroyable de connaissances sur l’histoire de la région.

Pour comprendre l’élaboration d’un tel ouvrage, il faut pour ainsi dire retracer la vie du savant bénédictin. Né en 1672 à Ménil-la-Horgne, près de Commercy, Augustin Calmet entre, à l’âge de quinze ans, à l’Université de Pont-à-Mousson. Au terme de brillantes études, il est ordonné prêtre le 1er mars 1696. Nommé successivement à Moyenmoutier et à Munster en Alsace, à Lay-Saint-Christophe et à Saint-Léopold de Nancy, il en profite pour écumer les bibliothèques et les dépôts d’archives de la province. Vrai petit rat de bibliothèque, il compulse les ouvrages anciens, s’abîme les yeux sur les vieux parchemins, transcris des chartes médiévales et se complaît à étudier les sceaux, les monnaies et les tombeaux des anciens Ducs de Lorraine. En 1728, il est finalement appelé comme abbé de Senones, où il terminera sa carrière monastique. C’est cette même année qu’il publie sa volumineuse Histoire de Lorraine. Fruit de plusieurs années de recherches passionnées, elle retrace l’histoire d’une province au passé mouvementé. En historien pragmatique et bon pédagogue, Dom Calmet a fait l’effort d’expliquer sa démarche et d’insérer, dans chacun des trois volumes que compte la première édition, des cartes très détaillées, ainsi que des planches gravées illustrant des bâtiments, des sceaux, des statues ou encore des monnaies en usage dans les duchés. Malgré son coût élevé, l’ouvrage va connaître un réel succès, au point d’être réédité, en six volumes cette fois, en 1745. L’Histoire de Lorraine fera également l’objet d’une version abrégée, imprimée à Nancy en 1734. Assurément, il s’agit de mettre le savoir au service du plus grand nombre, conformément à l’esprit des philosophes des Lumières, dans lequel Dom Calmet cherche à s’insérer.

Abbaye de Senones
Intérieur de l’Abbaye de Senones (Crédits photo : Patrice GREFF pour le Groupe BLE Lorraine)

Car le bon abbé de Senones n’hésite pas à entretenir, en plus des fonctions religieuses, une importante correspondance philosophique et scientifique ! Parmi les personnes avec lesquelles Dom Calmet entretient une relation épistolaire, on peut citer Voltaire. Le célèbre philosophe fera d’ailleurs une visite à Senones, en 1754.

Erudit et écrivain renommé, Augustin Calmet se montre curieux de tout. En 1717, il achève la publication de ses Commentaires sur l’Ancien et le Nouveau Testament qui ne comptent pas moins de 26 volumes ! En 1748, c’est un Traité historique sur les eaux et bains de Plombières, de Luxeuil et de Bains qui lui vaut l’admiration de ses lecteurs. Mais le bon abbé a aussi su s’attirer, hélas, quelques critiques assez acerbes, de la part de savants qui, déjà, plaçaient la raison au-dessus de tout principe. Aussi, lorsqu’il publie, à Paris, en 1746, ses Dissertations sur les apparitions des anges, des démons et des esprits, et sur les revenants et les vampires de Hongrie, de Bohême, de Moravie et de Silésie, il se fait comme qui dirait … lyncher. Voltaire lui-même sera particulièrement sévère à l’égard du vieux bénédictin, en notant, à l’article Vampires que compte son Dictionnaire philosophique, les lignes suivantes : « Quoi ! C’est dans notre XVIIIème siècle qu’il y a eu des vampires ! […] C’est sous le règne des d’Alembert, des Diderot, des Saint-Lambert, des Duclos qu’on a cru aux vampires et que le RPD Augustin Calmet, prêtre, bénédictin de la congrégation de Saint-Vanne et de Saint-Hydulphe, abbé de Senones, abbaye de cent-mille livres de rente, voisine de deux autres abbayes du même revenu, a imprimé et réimprimé l’Histoire des vampires, avec l’approbation de la Sorbonne, signé Marcilli ! » Aïe ! C’est vrai que cet ouvrage-là fait un peu tache dans l’excellente bibliographie produite par Dom Calmet.

Et pourtant … S’il savait, le pauvre Voltaire, combien ce livre a été, dès sa parution, un véritable best-seller. Aujourd’hui encore, il reste l’un des plus recherchés par les amateurs de livres lorrains. Et il ne se trouve pas quelque esprit, un tant soit peu gothique ou fantastique, qui ne finisse par tomber, tôt ou tard, sur ce vieux grimoire écrit par Dom Calmet. Par cet abbé à la culture encyclopédique, cet écrivain prolixe et un peu fantasque qui, en bon Lorrain, nous a tout simplement prouvé, avec son curieux traité, que c’est lorsque l’on tue les vampires, les licornes et les dragons, quand on ne croit plus aux fées, aux anges et aux démons que notre monde devient, finalement, terriblement ennuyeux.

Rédigé par Kévin GOEURIOT

Historien de la Lorraine, écrivain et professeur d’histoire-géographie pour le Groupe BLE Lorraine.

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