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Non Jeanne d’Arc n’était pas lorraine

Jeanne d'Arc

« Jeanne au siège d'Orléans » de Jules Lenepveu, vers 1886-1890

On entend souvent dire et répéter que Jeanne d’Arc était lorraine. C’est faux, et vrai à la fois ! Probablement née en 1412, dans la partie méridionale de Domremy, un petit village situé entre les villes de Neufchâteau et de Vaucouleurs, elle était officiellement sujette du Duc de Bar. Or le Duc de Bar, à l’époque, est vassal du Roi France ! Du moins pour ses terres situées en rive gauche de la Meuse. Le reste du village, au Nord, relève à l’époque de la châtellenie de Vaucouleurs, qui appartient directement au Royaume de France. Au Sud en revanche, Neufchâteau est une enclave du Duché de Lorraine.

Née à Domremy, donc en rive gauche de la Meuse, Jeanne avait tout lieu d’être française, ou pour mieux dire, barroise. Alors pourquoi s’obstine-t-on à vouloir faire de Jeanne d’Arc une Lorraine ? Peut-être que la faute revient à François Villon, le truculent poète de la fin du Moyen-âge qui, dans sa Ballade des dames du temps jadis, nous cite « Jehanne, la bonne Lorraine, qu’Anglois bruslèrent à Rouen ». Peut-être.

Toujours est-il que c’est bien à Domremy, petit village du département des Vosges, donc dans l’actuelle Région Lorraine (honni soit le Grand-Est) que la Pucelle aurait vu le jour. Sa maison natale, à Domremy, est un monument étonnant. Construite en pierre, elle ne compte que trois pièces dans lesquelles vivaient donc, au début du XVème siècle, Jeanne, ses parents, Jacques d’Arc et Isabelle Rommée, ainsi que ses frères et sœur : Jacquemin, Catherine, Jean et Pierre. La demeure, assez cossue pour l’époque, ne cesse d’attirer les touristes qui s’étonnent souvent, devant la cheminée et le linteau en accolade orné du blason que Charles VII accordera à la famille d’Arc, de trouver ici un certain luxe, un certain apparat.

Si quelques historiens en mal de sensationnel ont pu affirmer que Jeanne d’Arc, en tant que fille adultérine d’Isabeau de Bavière et du Duc d’Orléans, ne serait pas née à Domremy mais y aurait seulement été confiée au soin d’un brave laboureur, c’est bien là, pourtant, dans la délicieuse Vallée de la Meuse, qu’elle va grandir et recevoir une éducation très pieuse. Le procès que la Pucelle a subi à Rouen est formel : Jeanne passait ses journées à filer et, le dimanche, elle avait coutume de se rendre à la chapelle de Bermont, près de Greux, pour y prier dévotement. C’est certainement au cours d’une de ses errances que Jeanne va entendre, au lieu-dit le Bois Chenu, les fameuses voix lui ordonnant d’aller bouter les Anglais hors d’une France dont ils occupaient alors, depuis plus d’un demi-siècle, une large moitié. Déjouant l’autorité parentale, la jeune fille s’arrange pour rencontrer le seigneur de Vaucouleurs Robert de Baudricourt qui, après l’avoir envoyé paître une première fois, finit par lui accorder une escorte. Le 25 février 1429, elle est à Chinon, où elle parvient à convaincre l’héritier présumé du trône de France de lui confier une armée. Ce dernier, qui n’a plus grand-chose à perdre, octroie à Jeanne le commandement de quelques soudards menés par une troupe de braves chevaliers, avec lesquels elle parvient, le 8 mai 1429, à libérer Orléans. Un mois plus tard, elle bat les Anglais à Patay. La voie est désormais libre pour filer vers Reims, où elle assiste au sacre de Charles VII. Mais la Jeanne ne s’arrête pas là. Elle assiège Paris, où elle est blessée par un carreau d’arbalète. Premier échec. Jeanne se replie alors vers la Picardie. Le 23 mai 1430, alors qu’elle tentait de libérer Compiègne des Bourguignons, elle est capturée par ses derniers, qui la revendent, quelques mois plus tard, aux Anglais.

C’est le début de la passion selon Jeanne d’Arc. Emprisonnée à Rouen, accusée d’hérésie, elle subit une batterie de questions auxquelles elle répond en faisant montre d’un certain sens de la répartie. Hélas pour elle, sa bonne volonté ne suffit pas. Jugée « relapse », c’est-à-dire retombée dans ses erreurs passées, Jeanne d’Arc est finalement conduite vers la place du Vieux Marché, où elle est brûlée vive. Nous sommes alors le 30 mai 1431.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là ! Cinq ans tout juste après le bûcher, une jeune femme apparaît dans les environs de Metz et prétend être Jeanne d’Arc, réchappée du supplice. La demoiselle épouse Robert des Armoises, un seigneur lorrain désargenté qui avait senti là le bon filon, court les aventures, avant de se faire finalement démasquer par Charles VII en personne, quelques années plus tard.

Réhabilitée dès le milieu du XVème siècle, Jeanne d’Arc va susciter, tout au long de l’époque moderne, une certaine méfiance, voire de l’indifférence. Au XIXème siècle, l’annexion de l’Alsace-Lorraine la propulse à nouveau au-devant de la scène. Si elle a su bouter les Anglais hors de France, peut-être saura-t-elle, par son intercession, faire en sorte à ce que les Allemands abandonnent les provinces perdues ? Du coup, on la prie, on la vénère. Béatifiée en 1909, elle finit par être canonisée en 1920. Sainte Jeanne d’Arc ! Quelle étonnante histoire, en définitive … Mais une histoire qui s’écrit en deux parties. Il y a celle de Jeanne qui, de 1412 à 1431, nous mène de la Vallée de la Meuse au bûcher de Rouen, en passant par Chinon, Orléans et Reims. Et puis il y a la deuxième histoire, celle qui commence dès 1431, qui se poursuit par le procès en réhabilitation, par la canonisation et qui continue de s’écrire, encore aujourd’hui.

Dans tous les cas, toutes ces histoires qui tournent autour de Jeanne d’Arc nous murmurent et nous rappellent, comme les voix du Bois Chenu, que c’est là, à Domremy, sur les rives d’une Meuse que le poète décrit comme endormeuse, que c’est ici, oui, dans une modeste maison de pierre, que tout a commencé.

Rédigé par Kévin GOEURIOT

Historien de la Lorraine, écrivain et professeur d’histoire-géographie pour le Groupe BLE Lorraine.

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