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Parenthèses anabaptistes au Haras de Sarralbe

Hanviller

Cimetière mennonite à Hanviller dans le Bitcherland en Lorraine (Crédits photo : Daniel BUCHHEIT pour le Groupe BLE Lorraine)

Dans le cadre d’un partenariat avec le site historique du Haras de Sarralbe, nous vous proposons de découvrir en exclusivité une série d’articles consacrés à ce monument emblématique du Pays d’Albe. Le septième épisode de cette saga nous transporte entre la fin du XVIIIème siècle et le début du XIXème siècle, où la présence de quatre familles anabaptistes est attestée.

« Dans la Vallée de la Sarre, nous trouvâmes d’abord le petit bourg de Bockenheim, et, vis-à-vis, nous aperçûmes Neusaarwerden, bien bâti, avec un château de plaisance. La vallée est bordée de montagnes, qui pourraient s’appeler tristes, si, à leur pied, ne s’étendait pas, à perte de vue, jusqu’à Sarralbe et au-delà, une suite infinie de praires et de pâturages, nommés la Houhnau. Là, de grands bâtiments d’un ancien haras des Ducs de Lorraine attirent le regard. Ils servent actuellement de métairie, et sont assurément très bien placés pour cet usage. »

« Das Thal der Saar, wo wir zwerst Bockenheim, einen kleinen Ort, antrafen, und gegenüber Neusaarwerden, gut gebaut mit einem Lustschloss, erblickten, ist zu beyden Seiten von Bergen begleitet, die traurig heinssen könnten, wenn nich an ihrem Fuss eine unendliche Folge von Wiesen une Matten, die Huhnau genannt, sich bis Saaralbe und weiter hin unüberselhlich erstreckte. Grosse Gebäude eines ehmaligen Gestütes der Herzoge von Lothringen ziehen hier den Blick an ; sie dienen gegenwärtig, zu solchen Zwecken freylich sehr wohl gelegen, als Meyerey. »

Goethe (1749-1832), Dichtung und Wahrheit (1771).

Des anabaptistes dans la région de Sarralbe

Au XVIIIème et au XIXème siècle, les anabaptistes sont essentiellement implantés aux trois endroits suivants : à la Ferme du Haras (première trace à l’état-civil en 1795, dernière trace en 1825), à la Ferme du Tenscherhof (premier indice de présence anabaptiste en 1750, dernière trace à l’état-civil en 1811) et à la Ferme du Schottenhof (première trace à l’état-civil en 1790, dernière trace en 1891).

La présence de quatre familles anabaptistes est attestée au Haras de Sarralbe. Jean Hauter et sa femme Barbe Eschsont arrivés d’Assviller (67) au haras vers 1799. Ils ont eu dix enfants à Sarralbe entre 1799 et 1817, dont cinq d’entre eux sont décédés. Une de leur descendante, Elisabeth Hauter, a épousé André Roggy en 1812 à Lorentzen (67). Ce dernier couple s’est installé au Haras et a eu trois enfants à Sarralbe entre 1813 et 1816. Michel Saltzmann et son épouse Catherine Weiss sont venus de Petit-Tenquin vers 1795. Deux de leurs enfants sont nés au Haras en 1795 et en 1800. Jean Birky et sa femme Madeleine Schertz ont quitté Lorentzen pour s’installer au haras vers 1817. Ils y ont eu quatre enfants entre 1817 et 1825, dont deux sont décédés durant cette période. André Birky, un frère de Jean, a également travaillé au haras avec son épouse Barbe Ruffenacht. Jacques Stalter, dont on retrouve les parents au Tencherhof, a travaillé comme journalier au haras en 1799, année où sa femme Barbe Imhoff y accouche d’une fille.

Les origines des anabaptistes

L’Eglise Anabaptiste-Mennonite, c’est son appellation actuelle, naît au début du XVIème siècle en Suisse. On peut citer l’année 1525 comme point de départ à Zurich avec Conrad Grebel (vers 1490-1527) et ses amis qui prennent le nom de « Frères Suisses ». Ce mouvement se détache des réformateurs, Martin Luther en Allemagne (1483-1546) et Ulrich Zwingli en Suisse (1484-1531), essentiellement parce que l’anabaptisme prône le baptême des croyants, et non des nouveau-nés, et la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Cette église est considérée comme une secte et traitée d’hérétique par l’Eglise catholique et l’Eglise protestante officielle, celle de Luther et de Zwingli. D’ailleurs ses premiers fidèles sont martyrisés aussi bien en Allemagne qu’en Suisse. Les premiers adeptes, qui sont à l’origine catholiques, et donc baptisés étant nouveau-nés, reçoivent une nouvelle fois le baptême après avoir déclaré leur foi en Dieu. D’où le terme « anabaptiste » qui signifie « rebaptiseur » ou « Wiedertaüfer » en allemand. Ce mouvement se développe dans différents pays, en Suisse, en Allemagne et aux Pays-Bas. Il se traduit parfois en une révolte sanglante, notamment à Münster en Allemagne, entre 1525 et 1536, ce qui cause un grand tort aux adeptes qui sont en grande majorité foncièrement pacifistes.

La première confession de foi est rédigée en 1527 à Schleitheim (Suisse) par Michel Sattler (1500-1527), mort martyr à Rottenbourg (Allemagne) en août de la même année. Une nouvelle confession de foi est rédigée en 1632 à Dordrecht aux Pays-Bas. On y trouve pour la première fois le nom de « mennonites » pour désigner ses adeptes. Ce nom provient de Menno Simons (1496-1561), ancien prêtre catholique néerlandais, opposé aux révolutionnaires, qui organise les baptistes paisibles de son temps en « Eglise pure et séparée du monde ».

Trois points importants distinguent les mennonites des autres Eglises évangéliques. Ils ne donnent le baptême qu’aux adultes, et uniquement à ceux qui veulent s’engager en Eglise. Ils sont contre toute forme de violence et de ce fait refusent de porter les armes et de faire la guerre. A l’époque du service militaire, certaines jeunes mennonites se déclarent objecteurs de conscience alors que d’autres acceptent de faire le service militaire. Ils refusent également de prêter serment. Ils se fondent entièrement sur la Bible et rien que sur la Bible.

Des migrants soucieux de vivre à l’écart

Pourchassés jusqu’au début du XVIIIème siècle, beaucoup de mennonites suisses doivent quitter leur pays d’origine et trouver refuge dans des pays voisins plus tolérants. Il y a ainsi une forte émigration à partir du Canton de Berne en Suisse, où la répression est très forte, vers l’Alsace, le Pays de Montbéliard et le Palatinat en Allemagne, qui fait encore partie du Royaume de Bavière. Ces deux vagues d’émigration ont lieu en 1670-1671, puis entre 1709 et 1713.

Pour ne pas se faire remarquer, ils se tiennent à l’écart et s’installent de préférence dans des fermes isolées ou des moulins. Ils se font vite apprécier des propriétaires, dont ils sont les métayers, par la qualité de leur agriculture et de leur élevage, souvent en avance sur leur temps, ainsi que le sérieux de leur travail. Ce sont des gens sans histoire.

La révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV en 1685 chasse beaucoup de mennonites d’Alsace. Beaucoup d’entre eux, ainsi que des nouveaux arrivants, trouvent alors refuge en Lorraine qui est encore un duché indépendant, la Lorraine n’étant rattachée au Royaume de France qu’en 1766, à la mort du dernier Duc et ancien Roi de Pologne, Stanislas Leszczynski.

Précisons encore que le schisme provoqué en 1693 parmi les mennonites par le prédicateur Jakob Ammann (1644-av. 1730) a conduit ses adeptes à prendre le nom d’Amish. Un grand nombre d’entre eux émigre aux Etats-Unis, surtout dans l’Etat de Pennsylvanie, où ils essayent encore de nos jours de vivre comme leurs ancêtres, en refusant tout ce qui est relatif à la modernité, comme par exemple l’électricité, l’automobile, la radio, la télévision, etc. Les Amish restés en Europe ont ignoré ce conservatisme pur et dur et ont évolué avec leurs temps.

Comment vivent les anabaptistes ?

Les anabaptistes travaillent la terre en tant que fermiers, laboureurs ou journaliers dans de grandes fermes que les propriétaires n’exploitent pas eux-mêmes directement, mais en confient la gestion à des métayers. Les propriétaires en question sont soit des nobles, soit des membres du haut-clergé, ou encore des abbayes. Ainsi, la noblesse n’hésite pas à signer des contrats de métayage avec des anabaptistes car ces derniers acquièrent très rapidement une grande réputation pour la qualité de leur travail dans le domaine de l’agriculture et de l’élevage. Ils sont des précurseurs dans l’utilisation des engrais naturels qui permettent d’augmenter le rendement sans appauvrir la terre, évitant ainsi une année de jachère. Alors que la plupart des autres paysans pratiquent encore l’assolement triennal, ils ne perdent pas l’année où la terre n’est pas cultivée pour permettre la reconstitution de la fertilité du sol.

L’élevage est un autre de leurs domaines de prédilection, tout comme la meunerie. Il y a parmi les mennonites des générations de meuniers de père en fils. Cette réussite sur le plan professionnel engendre des mécontentements, voire de la jalousie auprès des autres paysans.

D’autre part, devant fuir les persécutions politiques et religieuses, les mennonites sont très mobiles. Cela est resté dans leurs traditions. Dès le XVIIIème siècle, même en Alsace et en Lorraine où ils sont parfaitement tolérés, voire protégés dans certains endroits, ils ne dépassent guère la durée d’un contrat de métayage dans la même ferme, soit trois ou six ans. Ils y sont souvent remplacés par d’autres mennonites. Parfois, ils changent carrément de région, voire de pays. Précisons que l’émigration en Amérique a commencé en 1810 après le refus de Napoléon d’exempter les jeunes mennonites du service militaire et du port des armes.

Rédigé par Katia SCHLICH

Auteure d'un site internet historique sur le Haras de Sarralbe en Lorraine pour le Groupe BLE Lorraine.

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