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Repères spatiaux en Lorraine

Pour signifier une distance hyperbolique dans l’espace, la langue populaire dispose de multiples expressions légèrement désuètes mais qui ne sont pas piquées des hannetons !

En effet, lorsqu’il s’agissait de se rendre au village voisin distant d’à peine deux kilomètres, on parlait d’aller à « Pétaouchnock », à « Perpète-la-Galette », à « Trifouillis-les-Oies » ou encore à « Tataouine ».

« Pétaouchnock » est un lieu imaginaire. Il a peut-être été inventé sur le modèle de Vladivostock par les rescapés de la retraite de Russie voulant signifier par-là que, pédibus-jambus, la Bérésina et la lointaine Sibérie n’étaient vraiment pas « la porte d’à côté » ! Ou alors, il s’agirait du bled où « pètent » les « schnoks », dérivant du « schnokeloch » alsacien (trou de moustique), à ne surtout pas confondre avec les géométriques mais pompeux « shadocks ».

« Perpète-la-Galette » dérive sans doute, pour son premier terme, de « perpétuité » appliqué à l’espace. Quant à la « Galette », il s’agit vraisemblablement de la recherche d’une rime farfelue en « ette », la langue populaire étant particulièrement sensible aux jeux sur les sons (rimes, allitérations, assonances, etc.). Ou alors, il s’agit d’un emprunt breton, à l’instar de ce « plouc » désignant les paysans tiré du « plou » armoricain figurant dans bon nombre de villages bretons tels que Plougastel, Ploumiliau ou Ploumanach. A noter que cette expression fait florès dans toute la francophonie : elle se retrouve en Belgique sous la forme de « Perpète-les-Andouillettes » (même jeu sur les rimes en « ette »), de « Perpète-les-Bains » (qui en a cure ?), dans « Clapotis-les-Canards » (allitérations en « c ») ou dans le non moins savoureux « Fougnie-les-Berdouilles » (assonances en « ou »). Au Canada, les Québecois, qui ont toujours été d’un naturel facétieux mais observateur, recourent sobrement, ce qui peut paraître redondant, « Au cul de la chatte ».

« Trifouillis-les-Oies » vient peut-être du verbe lorrain « trifougner » signifiant comme « houffer » : « fouiller », chercher ». Quant aux « oies », elles représentaient la figure emblématique des campagnes, le citadin les imaginant volontiers traversant les ruelles bordées de tas de fumier en se dandinant en canards tout en poussant leurs cacophoniques « coin-coin » qui sauvèrent la Rome antique de l’assaut gaulois. De même, le terme péjoratif « pedzouilles » désignant les ruraux pourrait avoir une origine identique. En effet, l’oie se dit « zouille » en Parler Lorrain. Il s’agirait encore de « pets » mais cette fois-ci des pets des « zouilles ». Aussi tonitruants soient-ils, je doute fort qu’ils aient pu tirer de leur sieste libidineuse les vigilants gardiens romains du Capitole !

En revanche, Tataouine existe réellement. C’est un petit bled du Sud-Est tunisien situé à cinq cent kilomètres de Tunis, dont le nom signifiait à l’origine « source d’eau ». C’était donc une oasis autour de laquelle s’était construite une belle bourgade qui connut jadis son ère de prospérité notamment grâce à son marché florissant. La renommée de Tataouine, de sinistre mémoire, est due au fait que la France y construisit un bagne, afin d’y mater ses militaires récalcitrants. Pour avoir visité le pays, tas de rocailles sous un cagnard à assommer un chameau à deux bosses sans un poil d’ombre ni une once de végétation, je puis vous assurer que « ce n’est pas demain la veille » que le « Club Méditerranée » y plantera ses bungalows pour bobos bonobos en goguette !

Voilà ! Si aucune de ces expressions ne vous convient, recourez au très académique « Au diable Vauvert » mais vous avouerez que, une fois encore, le parler populaire est bien plus savoureux, bien plus imaginatif et bien plus fort en gueule que notre si vanté mais si insipide « bon français » !

Rédigé par Jean-Paul BOSMAHER

Professeur de lettres à la retraite et écrivain pour le Groupe BLE Lorraine.

M. BOSMAHER est l’auteur de plusieurs ouvrages de références sur la Lorraine, dont notamment le « Parler Lorrain » paru en 2014 aux Editions du Quotidien.

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